La communauté chrétienne va célébrer, en cette fin mars et début avril, la Semaine Sainte qui est destinée à commémorer la Passion du Christ. Il s’agit là d’un événement d’importance majeure pour les fidèles, et inspire le respect, quelles que soient nos convictions religieuses.
Cette page de l’Histoire s’impose de toutes façons à nous tous, en particulier à travers les croix implantées à la croisée de certaines de nos routes de campagne. Ainsi dans mon village et ses environs, des croix simples comme celle sur la route de Gouze, ou avec le corps du Christ, comme par exemple celles de la côte de Cantina, de N’haux, du presbytère, ou de l’entrée de Mesplède.
On pouvait prêter différentes fonctions, voire symboliques, à ces croix de chemin quand on les érigeait dès le Moyen-Âge. Au niveau de la paroisse, elles pouvaient figurer la protection divine (contre les maladies, les intempéries, les étrangers malveillants, etc.), une étape de procession, une limite de paroisse ; pour les voyageurs, elles pouvaient assurer leur protection contre les mauvaises rencontres, ou tout simplement servir de guide.
Aujourd´hui, au-delà de leur dimension religieuse, ces croix font partie du patrimoine local au sens large. Dans certaines régions, comme notamment en Bretagne ou dans le Quercy, elles prennent même une dimension artistique, à travers des calvaires remarquables (ndlr. tout monument qui représente au moins trois personnages présents au Golgotha).
Un regard attentif sur les crucifix qui jalonnent les routes de ma collectivité ne manquera pas de noter que le corps du Christ y est fixé avec quatre clous, alors que l’image plus courante (comme pour le crucifix à l’intérieur de l’église du village) le représente avec trois clous seulement, les deux pieds étant ramenés l’un sur l’autre. Ce n’est pas là une particularité locale, mais une situation générale dans le monde chrétien, et l’art religieux.
En effet, même si la tradition chrétienne se référerait à trois clous, renvoyant le quatrième clou à une légende, aucun texte saint ne permet de trancher sur ce point de l’Histoire. Dès lors que cette scène a été matérialisée, à partir du V° siècle, et jusqu’au XIII° siècle, le corps du Christ était cependant fixé par quatre clous. Puis, au fil du temps, cette convention a disparu, et des représentations avec trois clous se sont plus ou moins imposées. Mais pas totalement. Des maîtres de l’art sacré au XVII° siècle, comme Velázquez ou Zurbarán, ont ainsi magistralement peint le Christ avec quatre clous.
Les interrogations sur le nombre de clous restent nombreuses, mais ne pourront déboucher sur aucune certitude absolue, d’autant qu’une multitude de sites revendiquent la propriété de reliques faites à partir de ces Saints Clous. Parmi les réflexions sur ce sujet, celle d’une étudiante anonyme en histoire de l’art m’a paru tout particulièrement intéressante. Ainsi, fait-elle remarquer que dans l'art en général, “trois” c'est la Sainte Trinité, alors que “quatre” c'est la Terre par opposition au ciel divin… et on pourrait alors émettre l'hypothèse, propose-t-elle, que “trois” insiste sur l'aspect divin du Christ et “quatre” sur son humanité. Voilà qui conjugue à merveille, me semble-t-il, les dimensions fondamentales du Christ dont la communauté chrétienne va donc célébrer la Passion, pendant cette Semaine Sainte.
Jean-Michel Cabanes