À l’heure où l’on déboulonne des statues et que certains veulent rebaptiser des rues, c’est le moment de s’interroger sur les figures de notre histoire, par exemple à la maille du village, dont il nous faut honorer la mémoire et garder le souvenir. C’est une question fondamentale, de racines, de patrimoine, de sens.
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Mon village, Arthez de Béarn, n’est certes pas très grand, mais nous avons des noms aux rues, ou pour être plus précis des noms aux diverses places et voies : 3 places, 5 impasses, 3 passages, 35 chemins, 4 allées, 6 rues, 18 routes, une côte et même une avenue !
Ce fut une bonne initiative, quelques décennies en arrière de baptiser nos lieux de vie et de circulation. Je n’ai toutefois pas souvenir des circonstances de la démarche ni des critères qui ont présidé au choix des noms, mais le résultat final est particulièrement plaisant. Le parti a en effet été pris de privilégier une dimension locale, en valorisant nos lieux-dits, nos municipalités jumelées, notre patrimoine immobilier (chapelles, fontaines, sites traditionnels), nos bâtiments municipaux (infrastructures administrative et sportives), notre environnement naturel (rivière, reliefs, éléments remarquables) et nos villages voisins. Pour encore mieux ancrer ces odonymes dans notre culture de village, certains noms ont été conservés sous leur forme occitane. Après tout, pour un village qui porte son territoire d’attachement dans son nom (“... de Béarn”), ça fait sens !
En mettant en valeur des références très locales du village dans le choix de ces noms, c'était aussi une formidable opportunité de valoriser notre patrimoine local en donnant des lettres de noblesse à certains repères jusqu’alors identifiés seulement selon une tradition orale, tout comme en faisant connaître l’étymologie, voire tout simplement le sens, de certains vocables peu courants. Sur ce dernier point, je reste néanmoins dans l’expectative. On aurait pu en effet imaginer que ces informations pour chacune des voies du village fussent rassemblées dans un recueil, lui-même accessible au grand public. Si un tel document existe, je ne l’ai pas trouvé sur le site officiel de la commune, et encore moins sur internet. C’est regrettable.
Or, il est une rue que je foule tous les matins et dont le nom reste pour moi un mystère : la rue du Poumirau, dans mon lotissement autrefois baptisé “cité Bourdalat”. J’ai eu beau me renseigner auprès de quelques “anciens”, c’était aussi pour eux un mystère. Je ne doute pas que quelque rare autre “ancien” pourrait quand même me renseigner. Mais voilà une rue au nom qui n’évoque absolument rien au plus grand nombre. Et quand bien même j’arrive à éclaircir le mystère, je peux affirmer que ce terme n’est pas de notre patrimoine sémantique. Ça ne fait jamais que 57 ans que je suis arrivé dans ce quartier et je n’ai jamais entendu prononcer ce mot, à peine l’ai-je lu depuis qu’il a été décidé de le donner à une des six rues du village.
Par ailleurs, il me semble dommage de ne pas avoir baptisé quelques-unes de nos voies du nom d’une des personnalités qui ont fait l’histoire de notre communauté. Il est vrai qu’une telle décision est sensible parce qu'elle pourrait aviver des susceptibilités à divers titres. Je le concède. Cependant, à la réflexion, il me semble qu’une personnalité se détache. C’est l’an dernier que notre cher Raymond Lamugue nous a quittés, discrètement, fidèle à sa façon d'être. Or, nul mieux que lui ne me paraît refléter l'histoire de notre village au XX siècle, ses racines rurales, sa transformation et son essor ! Son autobiographie que j’ai découverte après son départ, et qui est disponible à la bibliothèque municipale, le précise en toute simplicité.
Je ne veux pas faire ici l’éloge de Raymond, mais je retiens surtout qu’il est né dans l’Arthez de l’entre-deux guerres, qu’il a connu celui où le nombre d’habitants n’a jamais été aussi bas de toute son histoire (880 habitants au milieu des années ‘50), celui d’un monde agricole d’un autre âge, puis aussi celui de l’essor associé au gisement de Lacq, celui de la modernité. Il a été, comme secrétaire de mairie pendant “28 ans et 7 mois” selon son propre décompte (1959/1987), un acteur de premier rang, très apprécié quand il a fallu mettre en œuvre une nouvelle dynamique et accueillir les nouveaux Arthéziens venus de tous horizons dès le début des années ‘60. Une vie entièrement tournée vers son village. À l’origine et/ou dans la matérialisation, avec quelques autres, de nombreuses initiatives pour un mieux-vivre ensemble au sein de notre communauté : jumelages, don du sang, festival international folklorique, etc. Plein d’entrain et d'intérêt pour la vie sociale de son village, on pouvait l’apprécier aussi, selon les époques, dans les clubs de foot ou de rugby, sur les planches ou comme souffleur de la troupe de théâtre ! Une fois à la retraite, il participa aussi, au sein de notre collectivité, à différentes commissions municipales et conseils d’administration, et assuma même la fonction de délégué départemental de l’Éducation nationale. Et puis, longtemps correspondant de presse (voire même “photo reporter”, comme il le rappelait, à la disparition du photographe en titre), il connaissait la vie du canton comme personne.
Par un pur hasard, ou signe du destin, il s’avère que Raymond a fini ses jours où finit cette rue du Poumirau dont le nom n’évoque rien. À n’en pas douter, notre village s’honorerait donc à rebaptiser cette rue du nom de Raymond Lamugue, sachant au demeurant que le “poumirau” ne devrait pas manquer à grand monde...
Dans un mois, nous célébrons les journées du patrimoine. Quelle magnifique occasion à saisir pour une telle inauguration ! Le conseil municipal est maître de cette décision. Je l‘invite donc à considérer dès que possible cette suggestion de changement de nom, tout comme à lancer (voire promouvoir s’il existe déjà) ce recueil des noms de nos rues qui fait tant défaut.
“Rue Raymond Lamugue” ou comment célébrer notre patrimoine humain. Allez à la bibliothèque municipale et lisez cette histoire d’Arthez de Béarn au XX siècle qu’est l’autobiographie de Raymond ! Vous comprendrez encore mieux pourquoi c'est un trésor de la mémoire, et pourquoi Raymond Lamugue est une “figure arthézienne".
Jean-Michel Cabanes