La protection de l’environnement au niveau communal est un enjeu souvent plus critique qu’il n’y paraît. D’ailleurs, au plan réglementaire, l’inertie ou l’attentisme d’un maire en la matière est condamnable. Le sujet mérite donc d’être regardé avec attention, surtout quand, dans nos villages de campagne, on s’égare trop souvent à ne pas se sentir concerné.
Quelques constats sur des terrains de particuliers, au gré de mes promenades dans la nature environnante : des tas de pneus d’engins agricoles, des carcasses de véhicules, des décharges de matériaux de construction dont on peut craindre une certaine dangerosité.
Dans la campagne, les pneus usagés peuvent être utilisés pour la couverture des silos d'ensilage ou tout simplement accumulés “dans un coin” au fil du temps. Les risques avec les pneus concernent leur dégradation. Exposés aux intempéries, ils s’usent lentement. Ainsi, les fils d’acier peuvent sortir de la gomme et se retrouver dans la nature, voire parfois dans le fourrage s’ils percent la bâche d’ensilage. C’est davantage pour l’environnement que les pneus posent le plus de problèmes ; l’eau qui stagne à l’intérieur les transforme en effet en véritables nids à moustiques. Il incombe aux agriculteurs de se débarrasser de ces stocks de pneus à leurs frais via une filière ad hoc, mais le coût de telles opérations est prohibitif !
On peut aussi observer, de-ci de-là, des épaves de voiture. Chacune d’entre elles contient de nombreuses matières dangereuses, toxiques et polluantes : la batterie au plomb, l’huile de vidange, les liquides de frein et de refroidissement, le fluide de climatisation, les éléments explosifs des airbags, etc. Quand ces véhicules hors d’usage sont laissés à l’abandon, tous ces polluants contaminent le sol, les eaux, mais aussi peuvent engendrer des accidents. C’est pourquoi de telles épaves sont considérées comme des déchets dangereux, et doivent être traitées avec précaution. Au demeurant, lorsque le véhicule hors d’usage est encore entier, il est possible de faire intervenir gratuitement un épaviste agréé, hors d’éventuels frais de remorquage.
Et puis, personne n’ignore les décharges ponctuelles de matériaux de construction. Rien de préoccupant, dès lors que ce ne sont pas des décharges sauvages, si ce n’est la dangerosité de certains composants comme l’amiante qui requiert des traitements spécifiques en centres agréés. Mais là aussi, les coûts de ces traitements sont totalement dissuasifs, il faut le reconnaître.
On le voit bien, que ce soit pour des motifs économiques, ou par négligence, de tels déchets portent sérieusement atteinte à notre environnement. Or dans ce domaine, les pouvoirs de police du maire s’appliquent tant sur la voie publique que sur les espaces privés ; toutefois, il lui appartient aussi de faire preuve de discernement. En tout état de cause, le maire se doit d’être un acteur-clé de sensibilisation de la population aux démarches éco-responsables.
Dans ce contexte, quelles sont les attitudes possibles du maire face à de telles situations ?
Ne rien faire, considérant que ces déchets, épaves et autres décharges observées ne présentent aucune atteinte à l’environnement ? Ce serait, de mon point de vue, autant irresponsable que coupable de sa part.
À l’opposé, enclencher un processus formel de constat d’infraction aboutissant à l’application de sanctions financières, me paraîtrait disproportionné et largement prématuré.
Une voie plus réaliste pourrait tout simplement consister à agir au cas par cas, à informer le propriétaire et à l’aider à se mettre en conformité avec la réglementation.
Ainsi, pour ce qui concerne les cas de pneus usagés dans la nature, conviendrait-il d’informer (ou de rappeler fermement...) leurs propriétaires des dispositifs existant au plan national pour faciliter gratuitement leur enlèvement progressif, et de les accompagner dans cette démarche. Dans l'hypothèse où ces dispositifs ne seraient pas accessibles à court/moyen terme, un soutien financier local serait alors à concevoir, à la maille de la municipalité ou d’une intercommunalité.
De même pour les épaves de voitures : informer (ou rappeler fermement...), accompagner dans la démarche, et si nécessaire soutenir financièrement.
Le cas des déchets du bâtiment contenant de l'amiante est par contre d’une toute autre teneur. Leur dangerosité peut être extrême, et il faut prévenir à tout prix leur mise en décharge sur des parcelles de particuliers. Il faudrait même surtout inciter les propriétaires de tels déchets à s’en débarrasser via la filière agréée. Au plan national, ce constat est d'ailleurs largement partagé ; ainsi la Feuille de route pour une économie 100% circulaire, élaborée en 2018 sous l’égide du ministère de la transition écologique et solidaire, qui prévoit en particulier “une révision du fonctionnement de la gestion des déchets du bâtiment en rendant la collecte plus efficace pour lutter contre la mise en décharge par l’étude de solutions pour parvenir à la gratuité de la reprise de ces déchets”. Dans l’attente de la mise en œuvre concrète de cette disposition au plan national (ce qui peut prendre encore quelques années…), il pourrait être judicieux de s’y atteler au plan local (potentiellement davantage réactif) sous une forme adaptée, à la maille de la municipalité ou d’une intercommunalité comme cela se pratique déjà ailleurs en France. Convenir d’un tel dispositif imposerait bien sûr de préciser des contrôles pour éviter d’avoir à considérer des déchets “importés” d’autres communes... ainsi que probablement des limites de quantité et des échéanciers pour pouvoir faire face progressivement au stock dormant de ces déchets pouvant exister chez les particuliers.
Alors, soyons clairs. Les “petites entorses à la loi” ne portent pas grand préjudice à la nature, certes. Par contre leur accumulation devient nuisible à la nature elle-même, mais aussi à l’état d’esprit et à l’exigence de civisme au sein de la collectivité. Aussi, dès lors qu’on est en responsabilité, ne pas réagir traduirait une indifférence, voire une complicité, tout à fait coupable à divers égards.
À l’inverse, pointer clairement ces atteintes à l’environnement, les prendre à bras-le-corps et y apporter des solutions pragmatiques, génèrerait des externalités largement positives. D’une part, au plan communal, la représentation municipale assiérait ainsi mieux son autorité et sa légitimité, dans l'intérêt de tous. “Le ton serait donné”. Sa crédibilité en sortirait renforcée, permettant alors de s'attaquer encore mieux aux autres incivilités “mineures”... qui minent en réalité notre vie au village. D’autre part, pouvoir afficher une telle exigence en matière de protection de l'environnement contribuerait assurément à renforcer l’attrait du village.
Finalement, en militant pour engager une telle démarche d’exemplarité, nous transcendons notre quotidien fait de résignations, même face à des dangers majeurs comme le sont ces agressions et blessures béantes de la nature que nous finirions par ne plus voir...
Jean-Michel Cabanes