Enseigner à vivre en harmonie avec la nature prend une dimension particulière en milieu rural, et crée des obligations. Ainsi en devrait-il aller de l’alimentation dans les cantines des écoles primaires qu’on imagine logiquement issue de l'agriculture “raisonnée et de proximité” ...
----------
Combien de temps encore ? Combien de temps encore des enfants d’écoles primaires en milieu rural vont-ils manger à la cantine des aliments non issus de l’agriculture raisonnée et de proximité ? Une vraie question de société à laquelle la crise sanitaire peut nous avoir aidés à réfléchir. En tous les cas, dans ma commune, Arthez de Béarn, le débat a été relancé, fort à propos, dès la campagne de premier tour pour les élections municipales.
Quel bonheur de se lever à sept heures du matin pour aller arroser son jardin sous la lumière déjà envahissante du jour et dans le silence du petit matin que viennent rompre délicatement des merles et autres compagnons ailés ! C’est à la retraite que j’ai découvert ce doux plaisir, depuis mon retour au village de mon enfance en Béarn. Après une carrière professionnelle dans des bureaux à Lyon, Paris, Saint-Denis, La Défense, Alger et Santiago du Chili, me voici goûtant aux bienfaits de la nature. Me voici avec un arrosoir au milieu de mes plants de poivrons et salades, à l’heure où j’avais l’habitude de prendre mon premier café dans le silence des couloirs et plateaux de bureaux.
Quelle jouissance de découvrir comment faire pousser ses légumes et plantes aromatiques, en “écoutant” la nature : le calendrier des influences lunaires, les plantes qu’on peut ou pas associer, les rotations de cultures, les astuces pour optimiser son compost, les “mauvaises herbes” qu’il faut laisser pousser, les coquilles d’œufs broyées qu’on dépose au fond du trou de plantation des pieds de tomates pour les protéger de la maladie du cul-noir, le maïs doux qu’on peine à faire pousser pour servir de tuteur aux haricots tarbais, etc. Un concept global qu’on appelle savamment permaculture, et qui se fonde tout simplement sur le bon sens paysan pour préserver et développer les écosystèmes.
Quel privilège de pouvoir toucher du bout des doigts, dans un environnement rural, les vertus de cette pratique de l’agriculture qu’on peut appeler bio ou raisonnée lorsqu’elle est pratiquée à plus grande échelle. D’autant que la cueillette valide ensuite l'inégalable qualité des produits tant au niveau saveur que bénéfice pour la santé.
Alors, passé la soixantaine, et pensant à mon petit-fils qui commence à marcher, je me répète que nous, adultes, avons une responsabilité capitale envers cette nouvelle génération : les éduquer dans la conscience des bienfaits de la nature, du nécessaire respect de notre environnement, des enjeux pour notre planète demain matin. Mettons nos politiques d’adultes en cohérence avec l’enseignement à prodiguer à nos enfants. Et, dans ce contexte, quoi de plus trivial, pour une municipalité rurale, que de veiller à une alimentation de qualité “raisonnée et locale” dans les cantines de son école primaire.
Arguer des procédures d’appels d’offres n’a pas de sens, sauf à ne pas savoir valoriser à leur juste niveau cette qualité de l’alimentation et les avantages d’une production locale. Et quand bien même. Dans la mesure où d’autres communes en France ont réussi à faire ce choix du “raisonné et local”, il est difficile de comprendre que ce ne soit pas déclinable dans notre village. “Quand on veut, on peut” affirme la sagesse populaire.
Au plan plus général, et n’étant pas moi-même expert en la matière, mais si je me fie aux informations publiques, j’entends que les coûts de l’agriculture raisonnée sont similaires à ceux de l’agriculture “ordinaire” en tenant compte de toutes les positivités. Et combien même ne le seraient-ils pas de façon significative, nous devrions alors nous interroger, à tout niveau, sur les moyens à allouer à cette production “raisonnée et de proximité” pour que nous puissions en jouir. L’exemple récent de la crise sanitaire démontre bien que, face à des enjeux majeurs, la société sait convenir de moyens qui peuvent même sembler a priori démesurés ! Une saine alimentation et la préservation de la nature sont aussi des enjeux vitaux, certes pas encore de très court terme, mais est-ce une raison pour ne pas s’y intéresser avec une vraie conviction ?
Les temps changent. Les cantines aussi. Notre monde d’après s’avère exigeant en matière de qualité de l’alimentation. Le bon sens paysan semble enfin l’emporter. Le bon sens paysan c’est aussi s'assurer que les enfants du village mange des produits sains issus d’une agriculture raisonnée et de proximité dans les cantines de la commune, quand on est en responsabilité dans une municipalité rurale. Il en va de leur santé, de leur éducation de citoyen. Il en va aussi du bon développement de notre tissu productif local. Il en va, en bref, du mieux-vivre dans nos campagnes.
Alors, faut-il attendre ? … Combien de temps encore ?
Jean-Michel Cabanes