On n'apprécie jamais autant les plaisirs de la nature que quand on en a été sevré. Ainsi en va-t-il pour moi du ciel étoilé de mon village, Arthez de Béarn, que j’ai retrouvé après avoir vécu pendant des décennies en milieu urbain, autant dire, de nuit, sous une voûte céleste légèrement laiteuse floutant les étoiles. Dans quelle mesure serais-je dorénavant un privilégié ? Doit-on s'inquiéter de cette pollution lumineuse ? Que faire de mieux à l’échelle d’un village comme le mien pour la combattre ?
Plonger mon regard dans le noir profond du ciel parsemé d’étoiles, par temps de nouvelle lune, inonde toujours mon esprit pour le soustraire à notre monde matériel, quand bien même souvent de façon éphémère.
Il me renvoie aussi cette douce image de ma jeunesse quand, à la charnière des années 70-80, étudiant, je consacrais totalement mes étés à travailler en 3x8, dans la même usine que mon père ; les fois où nous rentrions à la maison au milieu de la nuit, quelle douceur de franchir, sous ce même ciel étoilé et dans le silence absolu, l’allée qui séparait le portail du pas de la porte de la maison, puis d’introduire délicatement la clé dans la serrure. Il m’arrive encore depuis le pas de la porte de contempler ce côté de nuit étoilée avec une certaine nostalgie, une vraie tendresse.
J’ai eu par ailleurs la chance de goûter aux nuits du désert d'Atacama, au Chili, et son ciel qu'on dit être le plus pur sur Terre ; de fait, on y trouve, à 5000 m d’altitude, le plus grand réseau de télescopes au monde. Mais même sans instruments, et peut-être aussi à cause du caractère lunaire de la nature environnante, on a immanquablement l’impression de baigner dans le ciel infini.
On comprend mieux alors pourquoi le ciel nocturne étoilé est reconnu comme partie intégrante du patrimoine mondial à préserver par l’UNESCO depuis 1992. Comme une sorte d’espèce en voie de disparition, le ciel étoilé est menacé. Son prédateur : la pollution lumineuse. Au cours des cinquante dernières années, le niveau d’illumination dans les pays développés a été multiplié par dix. Environ 83 % de la population mondiale et plus de 99 % des populations américaines et européennes vivent sous des cieux pollués par la lumière. Du fait de la pollution lumineuse, la Voie lactée n’est visible que pour un tiers de l’humanité ; 60 % des Européens et près de 80 % des Américains ne peuvent plus l’observer.
Ce combat contre la pollution lumineuse constitue évidemment un défi majeur dans les centres urbains, et en particulier les grandes métropoles, mais aussi dans nos villages et campagnes. Là comme ailleurs, le développement souvent anarchique et disproportionné de l’éclairage artificiel extérieur impacte négativement la biodiversité, et dans une certaine mesure notre santé, accroît la consommation et donc la production d’énergie, et donc notre bilan carbone, en même temps qu’il génère des charges substantielles dans les budgets des collectivités.
Mais, heureusement, la prise de conscience est effective depuis quelques années déjà. Des technologies d’illumination plus performantes sont notamment apparues, mais restent toutefois à encore mieux maîtriser. Comme en de nombreux endroits, dans mon village, depuis l’été 2016, c’en est aussi fini de l'éclairage en continu. Au motif d'économies de gestion, il a ainsi été décidé, dans le cadre d’un schéma-directeur élaboré par la collectivité de communes, que l’éclairage public fonctionnerait de la tombée de la nuit jusqu’à 23 h, avec reprise à 6 h jusqu’au lever du jour. En réalité, aujourd'hui, été comme hiver, cette limite a été repoussée à minuit. Cette prise de conscience est bien sûr à encourager et à prolonger, de telles dispositions ne constituant pas un aboutissement. La voie du progrès est encore longue, et les mesures potentielles à explorer multiples.
Dans ce contexte, je comprends que, dans un village comme le mien, un éclairage public puisse être nécessaire jusqu'à minuit en été, quand la nuit qui commence à tomber entre 21 h et 22 h marque aussi la fin d’une vie sociale en plein air. On peut toutefois s’interroger sur l’utilité de poursuivre l'éclairage continu jusqu’à minuit en période hivernale quand la nuit tombe entre 17 h et 18 h et que la circulation sur la voie publique se réduit drastiquement dès 21 h. Et que dire, en période de confinement, où il n’y a plus de toutes façons aucun motif possible de déplacement dans les rues de nos villages après 21 h (sauf pour se rendre ou revenir de son travail … les cas restent rares). En toutes circonstances, nos rues pourraient aussi être équipées de détecteurs de mouvement qui déclencheraient temporairement l’éclairage quand nécessaire. La Convention citoyenne pour le climat va d’ailleurs même jusqu’à proposer d’éteindre l’éclairage public la nuit hors agglomération dense.
Si ces idées n’ont probablement rien de très novateur, on ne peut éviter décemment, de mon point de vue, de les (re)analyser avec attention et, sauf arguments contre, les mettre en œuvre aussi rapidement que possible. En effet, chaque heure d’éclairage public évitable qui passe coûte à la collectivité, en monnaie sonnante et trébuchante, en dommages sur la biodiversité, sur notre santé. Les économies ainsi générées pourraient bien se chiffrer en milliers d’euros ; en période de sévère crise sociale qui s’amorce, qui peut s’en désintéresser ? ... Il ne s’agit pas ici de simples économies de bout de chandelle…
Jean-Michel Cabanes