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16. pour un village qui fasse école

 

"Quelle mission pour l’école : instruire ou éduquer ?” : une question pas nouvelle, et pourtant toujours d’actualité. C’est parce que “éducation nationale” veut signifier “tronc commun” qu’en 1932 le ministère de l’instruction publique devient le ministère de l’éducation nationale ; cette nouvelle titulature vise en effet à accréditer les ambitions de “massification de l’accès à l’enseignement”, “égalité scolaire” et “développement de la gratuité”.


 

Pourtant une quarantaine d’années plus tard, et nonobstant le succès de la massification de l’enseignement, le problème de l'égalité des chances minait toujours notre système éducatif. Mon parcours scolaire qui débuta au milieu des années ‘60, au primaire puis au collège de mon village, Arthez de Béarn, me mena néanmoins au titre d’ingénieur. Pour un fils d’ouvrier, qui plus est vivant en milieu rural, la probabilité d’un tel parcours était alors dramatiquement faible. Ce qui est encore plus dramatique, c’est que cette inégalité des chances reste de nos jours toujours patente et douloureuse pour notre modèle social, malgré (ou à cause de...) diverses réformes. 

 

Les analyses statistiques en témoignent clairement quel que soit l’angle d’attaque. Pour ne s‘en tenir qu’à un critère, en 2018, selon l’Observatoire des inégalités, les enfants d’ouvriers ou employés représentent seulement 13 % des étudiants en écoles de commerce ou d’ingénieurs, alors que les enfants de cadres supérieurs pèsent pour 53 %… et je ne parle même pas du top du top de ces écoles où on frise la consanguinité de la classe sociale privilégiée ! L’enseignement supérieur universitaire est tout autant sélectif socialement que les grandes écoles, mais le tri s’effectue plus tard dans le cursus : 31 % des étudiants de licence sont enfants d’employés ou d’ouvriers, 21 % en mastère et 15 % en doctorat, à peine plus finalement qu’en école d’ingénieurs ou de commerce.

 

Les origines de cette situation affligeante sont diverses, mais je souhaite ici me restreindre à un aspect en relation avec la dimension d’une collectivité comme mon village, avec son école primaire et son collège. Dimension certes très locale, mais on le sait bien, y compris pour l’école de la République, tout se joue souvent dès les premières années.

 

Au plan national, il est d’abord intéressant de nous comparer aux autres systèmes éducatifs. L’enquête PISA, qui fait référence, évalue régulièrement les connaissances des élèves de 79 pays âgés de 15 ans en compréhension de l’écrit, en mathématiques et en sciences. Sur chacune de ces dimensions la France se positionne de façon stable, entre les rangs 20 et 25, et à peine au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE. Cette enquête pointe aussi un niveau très élevé des inégalités sociales en France, notre pays faisant ainsi partie des plus inégalitaires de l’OCDE. Ceci étant, l’enquête révèle que les élèves sont plutôt heureux dans nos écoles... mais très indisciplinés.



 

Alors, revenons à la question de départ : “instruire ou éduquer ?”. Indépendamment des valeurs qui motivèrent le changement de titulature du ministère au début du XX siècle, ce débat porte aujourd’hui sur le rôle de l'école dans les termes suivants : doit-elle seulement transmettre des connaissances et des savoirs (“instruire”) ou donner les savoir-être et les savoir-faire utiles à la vie sociale (“éduquer”) ? On peut s’accorder sur le fait que l’un n’exclut pas l’autre, et qu’il s’agit surtout de savoir quel est l’objectif premier de l’école de la République : “instruire” ou “éduquer” ?

 

Pour ce qui me concerne, j’ai quand même le sentiment d’avoir surtout reçu des connaissances durant mon parcours scolaire dans les années ‘60 et ‘70 plutôt que des savoir-être, c’est-à-dire “instruit” plutôt que “éduqué”, selon ces clés d’analyse. Si je suis arrivé après l’époque des trains qui se croisent et des baignoires qui fuient, j’ai dû entre autres apprendre par cœur les affluents et la longueur de nos fleuves, les empereurs romains, les règles de grammaire et autres preuves par neuf, tout comme les leçons de morale pour commencer les journées au primaire. En même temps, en matière de savoir-être, l’autorité des instituteurs (quand bien même ils ne s'appelaient pas encore professeurs des écoles… ) était sacralisée tant auprès des élèves que de leurs parents,  tout comme la discipline pendant les cours.

 

Mais si j’y ai trouvé mon bonheur à étudier, je reconnais que ce système pédagogique était imparfait puisqu’il laissait grand nombre d’élèves sur la touche. Il était évidemment perfectible. J’ai cependant le sentiment que les diverses réformes qui se sont succédé ont surtout privilégié le développement des savoir-être, en négligeant les problèmes liés à la transmission de connaissances comme le sont la qualification idoine des enseignants et les difficultés d’apprentissage inhérentes aux milieux sociaux des élèves, en particulier pour les moins favorisés d‘entre eux. 

 

De fait, dans de telles conditions, un enfant de milieu social favorisé a plus de chances de compenser, par le biais de son environnement familial, les lacunes de transmission de connaissances par l’institution. Ces réformes pédagogiques véhiculaient donc en elles-mêmes les germes d’une inégalité scolaire croissante. On dirait aujourd'hui qu’il y avait un virus dans le logiciel… Enfin, quand on analyse les chutes de participation aux scrutins électoraux nationaux, on a du mal à se convaincre que, de façon générale, notre système éducatif a mieux préparé les nouvelles générations à la vie sociale, aux responsabilités civiques.

 

Alors, oui, je considère que “instruire” devrait être la mission première de l’école, et dès le primaire. Focalisons l’école sur la transmission des connaissances, et déchargeons-la de la mission d’éduquer à la vie en société, tout en reconnaissant qu’il s’agit là d’un corollaire à préserver. On l’a bien vu pendant la crise sanitaire, quand bien même il pouvait être possible de diffuser des connaissances, la vie en groupe manquait à l’épanouissement des élèves de tout âge.  



 

Dans ce contexte, qu’attendre de plus d’une institution comme une municipalité, par exemple d’un village comme le mien ? Comment le village, en tant qu’institution, peut-il opportunément compléter l’école dans le développement des enfants et adolescents, dans leur “éducation” ?

 

Bien sûr, les municipalités contribuent déjà plus ou moins activement à l’épanouissement des plus jeunes. Mais un tel dessein mérite d’être clairement conscientisé et affiché comme une composante fondamentale du bien-vivre au village. Une politique communale volontariste en matière d’éducation devrait tout d’abord consister à :

  • contribuer de façon déterminée, voire piloter la mise en place d’une organisation structurée et de qualité en soutien scolaire et stimulation des parcours professionnels ; d’autant plus essentielle que les “territoires”, et la “ruralité” en particulier, sont un facteur majeur d’inégalité (ou d’injustice) scolaire, tout comme le milieu social d’appartenance. Là où de telles initiatives ont déjà été engagées, il faut s’interroger sans détours sur l’efficacité du dispositif en place et sur les voies de progrès possibles : l’analyse statistique des parcours scolaires des enfants ayant étudié au village est ici indispensable.

 

Cette politique communale pourrait couvrir aussi, et sans prétendre à l’exhaustivité :

  • soutenir activement les structures sportives dédiées aux enfants et adolescents ; appuyer prioritairement ceux des clubs dont les fédérations ont des objectifs exigeants et mettent en œuvre les moyens nécessaires en termes de formation des éducateurs ;
  • cultiver la connaissance, voire la pratique, des arts ; l’école de musique qui peut exister dans les villages est un premier pilier à valoriser de ce que pourraient plus largement comprendre des “ateliers d’art” accessibles à tous ; 
  • valoriser et expliquer le patrimoine historique local, tant à travers les monuments qu’à travers la mémoire de ses grandes figures (lire ma tribune oui aux noms des rues qui font mémoire) ;
  • manifester concrètement la volonté de vivre en harmonie avec la nature, de protéger notre environnement naturel et promouvoir l’agriculture raisonnée et de proximité (lire ma tribune éduquons nos enfants à croquer la nature) ;
  • valoriser la diversité au sein de la collectivité (lire par exemple ma tribune ¡viva el Perú!), comme par exemple l’intégration entre générations ; à ce titre, dans le cas de mon village, maintenir la résidence pour personnes âgées au centre-bourg prend encore plus de sens (lire ma tribune "N'haux ville-nouvelle" peut attendre) ;
  • sensibiliser les adultes à l’exemplarité de leurs attitudes au sein de la commune (lire par exemple ma tribune n'effacez pas l'histoire), et faire campagne contre les incivilités (lire ma tribune au p´tit village l'incivilité qui rampe) ;
  • responsabiliser les jeunes dans la gestion opérationnelle des affaires du village : dans mon village, l’école des jeunes sapeurs pompiers en est une illustration exemplaire, tout comme l'organisation des fêtes patronales par un comité constitué principalement de jeunes gens.

 

De façon plus générale, il convient de conscientiser les enfants et les adolescents aux règles de la vie en commun, aux dispositifs permettant le bon fonctionnement de la vie de la cité, en clair dispenser sur le terrain les leçons d’instruction civique. Bien sûr les “conseils municipaux des enfants” qui fleurissent dans beaucoup de villages sont un premier pas intéressant, mais, là aussi, il faut s’interroger sur leur efficacité. Et surtout, à l’heure du numérique, il faut assurément réfléchir et mettre en œuvre pour les enfants et les adolescents des applications adaptées en ce sens. Par exemple un forum numérique ad hoc à l'échelle du village… tout comme il est aujourd'hui nécessaire pour les adultes… mais toujours manquant (lire ma tribune c'est pas le moment de la grasse mat'). Il est temps que la révolution numérique fasse son œuvre au bénéfice d’une citoyenneté accrue pour tous les âges (lire ma tribune la corrida un forum citoyen de référence) ! Et d’ailleurs, grâce au partage dínformations et d’expériences que permet l’internet, il sera encore plus facile et excitant d’agir en profondeur sur chacun des points d’une politique communale ambitieuse que j’ai listés ci-avant.



 

“Instruire ou éduquer ?”. Derrière cette question, le vrai défi porte sur l’égalité des chances. Si tous les parcours scolaires sont honorables et riches d’expériences, il n’en demeure pas moins révoltant que les limites des ambitions, ou les chances de succès dans les études, des enfants de la République puissent être prédéterminées en particulier par leur classe sociale d’appartenance ou leur lieu de vie. Face à ce défi qui mine notre société, plusieurs champs de bataille sont possibles et connus depuis des lustres. Laissons de côté les grands discours et ceux de ces champs qui sont du ressort national pour nous concentrer sur le champ communal, plus accessible, plus réactif et probablement tout aussi efficace en attendant.


 

Jean-Michel Cabanes

Tag(s) : #éducation, #égalité des chances
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