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17. parlez-moi de la pluie

C’est bien connu, quand on se met à “parler de la pluie et du beau temps” c’est qu’on n’a pas grand chose à dire… Est-ce pour autant une raison suffisante pour utiliser des expressions incohérentes ? En effet, à bien y regarder, il n’est pas rationnel d’associer un phénomène concret et objectif, la pluie, à une notion abstraite, tout à fait subjective, comme l’attrait d’une situation météorologique, le beau temps

 

Or, les mots ont un sens et en faire fi peut conduire à des attitudes négligentes. Ainsi, un choix des mots pertinent peut-il aussi induire des regards sur le monde plus ou moins optimistes ; par exemple, et pour en rester à des sujets d’actualité, il n’est pas indifférent de parler de distanciation physique plutôt que distanciation sociale, ou de geste protecteur plutôt que geste barrière.

 

Pour en rester à la pluie et au beau temps, peut-on continuer à se réjouir aujourd’hui sous nos latitudes, d’un ciel bleu ensoleillé et sans nuages, puisque telle est la notion sous-jacente de beau temps ? Peut-on continuer à dire il fait beau quand il faut passer un été enfermé chez soi, dans le noir pour garder autant que possible un peu de fraicheur en pleine canicule ? En quoi, quand il fait chaud, veiller à longueur de journée à ce que les personnes âgées s’hydratent est-il plaisant ? Et puis, scruter les cartes météo, quelle que soit la saison, pour se lamenter de la sécheresse qui s’empare chaque jour davantage de nos terroirs et raye des cours d’eau et des zones humides de la carte, est-il jouissif ? S’interroger sur la pérennité de la culture du maïs, grand consommateur d’eau, à grande échelle dans nos campagnes est-ce agréable ? Etc.

 

Assurément non. C’en est fini de la dictature du soleil et du ciel bleu. Personnellement, associer beau temps à chaleur et ciel bleu ne me fait pas sens. D’autant que, en matière de beauté, je sais aussi m'enthousiasmer de situations pluvieuses, de celles que savent si bien mettre en relief des poètes :

Nous le savons bien, il est crucial d'agir en matière de lutte contre le dérèglement climatique, puisqu’en réalité, le défi est bien celui-là. Pour mieux conscientiser ce combat, ne négligeons pas les mots, ni les expressions... “mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde”. Certes utiliser les mots justes n'est pas le plus incisif des gestes militants. Mais, accepter d’opposer pluie et beau temps est dans le fond aussi déresponsabilisant que d’attendre du seul gouvernement qu’il agisse pour résoudre le problème climatique. Les solutions au problème écologique sont multiples et concernent tous les niveaux de la société, les institutions tout autant que chacun d’entre nous. Pensons déjà tout simplement, dans nos gestes quotidiens, à réduire nos consommations d’eau, mais aussi d’énergie, voire en réalité à remettre en question notre modèle consumériste.

Puisse donc cette expression sans structure logique “parler de la pluie et du beau temps” être au moins utile, quand nous la citons, à interpeller notre for intérieur sur nos comportements individuels pour combattre cette évolution funeste du climat, de notre planète et donc de notre sort. Gardons-le en mémoire.

 

Avant de conclure et comme fruit de mes recherches sur internet, je vous laisse quand même l’origine à mon sens la plus probable de cette expression, commune aussi à “faire la pluie et le beau temps” et “après la pluie, le beau temps”. Il semble en fait que les Gaulois attribuaient aux neuf vierges sacrées, nommées Sènes, de l’île de Sena (Sein) où elles résidaient, dans l’archipel armoricain, le pouvoir de faire à leur gré le beau temps et les naufrages. Ils croyaient qu’elles possédaient un carquois merveilleux, dont les flèches, lancées dans les nues, dissipaient les orages.

En cohérence avec cette explication possible, Racine traduit en style noble et précis l’expression vulgaire “faire la pluie et le beau temps” dans ce vers de la tragédie d’Esther : “je fais, comme il me plaît, le calme et la tempête”. N’est pas Racine qui veut…

 

Enfin, sur ce thème de météo, je ne résiste pas au plaisir de vous inviter à (re)écouter ce monument de la chanson populaire qu’est l'orage de Georges Brassens : “♫ parlez-moi de la pluie et non pas du beau temps, le beau temps me dégoûte et m'fait grincer les dents, le bel azur me met en rage ♪”... “♬ et l'avait emmenée vers des cieux toujours bleus, des pays imbéciles où jamais il ne pleut, où l'on ne sait rien du tonnerre ”.

 

 

Jean-Michel Cabanes

 

 

 

Tag(s) : #environnement, #changement climatique
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