La lutte contre le changement climatique amène inexorablement à s’interroger sur l’usage de la voiture. À l’échelle d’un village, existerait-il des dispositions structurelles contribuant à ce combat, ou ne serait-ce qu’une affaire de grandes villes ? Peut-être pas...
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La Convention citoyenne pour le climat vient de remettre son rapport définitif. Elle considère indispensable de changer les comportements des consommateurs, on pouvait s’y attendre. Une de ses thématiques pointe les moyens de déplacement et notamment l’usage de la voiture. Et même si aucune de ses propositions n’est dédiée expressément à cet usage-ci dans les villages de campagne, on ne peut manquer d’y réfléchir. Car après tout, on ne peut pas revendiquer une meilleure prise en compte des problèmes des territoires ruraux à la maille nationale et, en même temps, ne pas participer à la recherche et mise en place de solutions sur ce problème majeur du climat, fût-ce à notre petite échelle. C'est, comme qui dirait, une histoire de citoyenneté…
Avant même d’explorer les actions qui pourraient être entreprises au niveau de la collectivité, il est bon de s’interroger, tout un chacun, sur ses habitudes en termes de déplacement en temps normal. Pour ma part, je reconnais privilégier encore la voiture pour mes déplacements au centre-bourg de mon village, Arthez de Béarn, alors que je pourrais tout aussi bien me déplacer à vélo ; des circonstances particulières expliquent toutefois ici ce comportement. De fait, lorsque je réside dans des centres urbains, je me déplace exclusivement à pied pour des courses de proximité, c’est-à-dire à moins d’une heure de la maison.
J’observe cependant qu’au village, l’usage de la voiture pour les déplacements de proximité semble assez généralisé. J’ai même le sentiment que les enfants circulent moins à vélo que quelques décennies en arrière, que ce soit pour se rendre à l’école ou à des activités extrascolaires. Les parents assurent en règle générale le “service taxi”. Ainsi, pour les enfants qui ne se déplaçaient pas à vélo, là où un bus de ramassage scolaire transportait auparavant une trentaine d’enfants au sein du village, aujourd'hui c’est quasiment autant de voitures qui circulent à la même fin… altérant de facto le bilan écologique de la collectivité.
Quant aux adultes, ils sont bien peu à marcher pour se rendre au centre-bourg. Il est vrai que nous nous sommes (mal) habitués à ne pas “perdre de temps” pour des affaires aussi courantes qu’aller acheter son pain ou son journal, ou faire son marché le samedi matin. Nous nous déplaçons donc en voiture et nous garons aussi près que possible du point de vente, quitte d’ailleurs, pour certains, à se garer indûment sur les emplacements réservés aux personnes à mobilité réduite... Si on pouvait rentrer avec la voiture dans le magasin, ce serait si bien ! D’ailleurs il en est bien ainsi quand on choisit d’aller acheter son pain dans des drive-in, ces points de vente qui se développent de plus en plus et où, par exemple, on achète le pain sans descendre de la voiture ; on peut apprécier un côté pratique, mais il faut admettre qu’on détruit ainsi toute opportunité de lien social mis à part, dans le meilleur des cas, les quelques mots de courtoisie échangés avec le vendeur de l’autre côté de la fenêtre… alors que rentrer dans un magasin est une occasion agréable de rencontrer des gens, de discuter, de s’informer… de nouer du lien social, tout simplement. Le lien social se bâtit beaucoup sur des comportements quotidiens.
En favorisant à l’excès l’usage de la voiture, le cadre urbanistique de nos villages ne serait-il pas en train d’assécher inconsciemment des racines de lien social ?
À la réflexion, le cas du centre-bourg de mon village est d’ailleurs assez symptomatique. Bâti sur une ligne de crête, le village s’articule autour d’une rue principale. Encore dans les années ‘60, on trouvait notamment dans le centre-bourg, sur les deux cents mètres environ entre la place du Palais et l’hôtel du Temple : cinq épiceries et alimentation générale, sept cafés, trois boucheries et charcuteries, une boulangerie, une pharmacie, la gendarmerie... ; les flux piétonniers y étaient naturellement fréquents. Et puis la “modernité” avec ses changements de mode de vie est passée par là. Il n’y a plus sur ce parcours d’épicerie et alimentation générale, encore deux cafés, toujours une boulangerie et une pharmacie, mais la gendarmerie s’est excentrée. La physionomie du centre-bourg a bien évolué, c’est bien normal dans un monde qui bouge, et on ne pourrait s’en plaindre sauf si on devait regretter le manque de vie, d’animation, dans sa configuration actuelle.
Mais soyons honnêtes avec nous-mêmes et regardons la situation en face. Notre centre-bourg s’est transformé en une sorte de “drive-in” ! Une rue avec des parkings pour se garer au plus près du lieu d’intérêt, et minimiser le temps de marche, quand bien même les distances sont courtes ! C’est même pire … voyez ces parents qui n’hésitent pas à paralyser le trafic sur la rue principale dans son secteur le plus étroit, juste pour déposer ou récupérer leurs enfants devant la porte-même de l’école Saint-Joseph.
J’avais déjà abordé le problème de l'aménagement du cœur de village dans une tribune précédente (lire mon post "N'Haux ville-nouvelle" peut attendre) en invitant à en dégager une vision de moyen terme. Quitte à être iconoclaste, ma réflexion aujourd’hui m’amène à penser que sans mesure radicale envers la place de la voiture dans notre hypercentre, celui-ci restera à jamais un désert de sociabilité et ne retrouvera jamais son animation d’antan. Pour redonner vie au village en accroissant les opportunités de liens sociaux, je ne vois qu’une solution : fermer l'accès de l’hypercentre, tel que défini ci-avant, à la circulation automobile (sauf professionnelle) durant la journée (par exemple entre 8:00 et 20:00). Pour y favoriser encore davantage l’animation et le sentiment de bien-être, il sera alors opportun de s’intéresser aussi aux possibilités de mobilier urbain, de préférence en mobilisant de vrais talents et experts. Même si, à n’en pas douter, les idées ne manqueront pas non plus à mes concitoyens pour utiliser à bon escient ce nouvel espace urbain libéré.
Je suis conscient que ma proposition de fermer l’hypercentre à la circulation automobile peut susciter de vives réactions, à tout le moins de la surprise. Mais plutôt que de la rejeter brutalement, si ce n’est par instinct de refus du changement, j’invite tout un chacun à laisser mûrir sa réflexion. Ce type de solution n’a rien d’innovant. Il est de plus en plus mis en œuvre dans des grandes villes, Paris par exemple, non seulement au motif de la lutte contre la pollution atmosphérique, mais aussi, et souvent surtout, pour améliorer le cadre de vie, le bien-vivre dans la cité. On observe d’ailleurs que les modes de mobilité évoluent alors aussi vers des solutions dites plus douces ; dans notre cas, on peut imaginer que les déplacements à pied ou à vélo s’en verraient renforcés à l’échelle du village. Et puis, pour être franc, même si je ne suis pas totalement sûr que ce nouveau schéma piétonnier suffirait à revitaliser notre cœur de village, je suis convaincu par contre que de ne pas le déployer enterrera toute perspective d’animation durable dans ce secteur.
Explorer l’usage de la voiture au village pour aborder la problématique du climat, c’est donc aussi s’interroger sur notre mode de vie, nos habitudes, identifier nos dérives comportementales collectives inconscientes... “d’une pierre, deux coups” dit le dicton.
Ne nous résignons pas à laisser s’éteindre l’âme de notre village. Soyons audacieux, libérons notre créativité. Implémentons des solutions à la hauteur de nos ambitions. Sachons prendre des initiatives pour valoriser notre patrimoine naturel, social et historique, tout en faisant de notre village rural un lieu d’excellence de vie du XXI siècle.
Jean-Michel Cabanes