“♫ Un p’tit village ♬, un vieux clocher ♪ ... “. Qu’elles sentent bon la douce France les chansons de Charles Trénet, les foins, la campagne fleurie et ses villages paisibles sous le soleil d’été ! Une vision idyllique qui se heurte à la triste réalité des comportements humains, aujourd’hui, mais probablement hier aussi. Je veux ici m’intéresser aux “petites incivilités” que l’on déplore forcément dans nos villages quand on les constate… mais aussi celles que l’on finit par ne plus voir.
Les plus patentes sont bien celles que l’on qualifie sans hésiter “d’actes gratuits stupides au possible” comme les bris de vitraux d’une de nos chapelles, ou le saccage de jardinières municipales, ou autres bouteilles vides de spiritueux et autres substances diverses abandonnées sur la voie publique, etc. On peut, il est vrai, s’accorder pour attribuer ce genre d’incivilités aux jeunes du coin, quand bien même il resterait à le prouver formellement. C’est alors un lieu commun que de profiter de ces occasions pour qualifier les “jeunes d’aujourd’hui” selon des raccourcis comme :
“La jeunesse d’aujourd’hui ne sera jamais comme la jeunesse du passé.”
“Si l’avenir de notre peuple est entre les mains de la jeunesse frivole d’aujourd’hui, il y a de quoi désespérer. Cette jeunesse se conduit avec une suffisance vraiment intolérable. Quand moi j’étais jeune, on nous apprenait les bonnes manières et le respect que l’on doit à ses parents.”
“Les jeunes d’aujourd’hui ne se lèvent plus lorsqu’un adulte pénètre dans la pièce où ils se trouvent. Ils contredisent leurs parents, aiment le luxe, ont de mauvaises manières, se moquent de l’autorité et n’ont aucun respect pour l’âge.”
“Lorsque les pères s’habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs paroles, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque les jeunes méprisent les lois, parce qu’ils ne reconnaissent plus, au-dessus d’eux, l’autorité de rien et de personne, alors, c’est là, en toute beauté et toute jeunesse, le début de la tyrannie.”
Propos qui, sous une forme ou une autre, traduisent l'idée que “de nos jours” les mœurs se relâchent alors que “de notre temps…”. Pour autant, les réactions de ce genre sont de fait atemporelles. Dans l’ordre, les citations ci-avant sont datées de (#1000 av.JC / tablette babylonienne), (VIII° siècle av.JC / poète grec), (V° siècle av.JC / Socrate), (IV° siècle av.JC / Platon). Autrement dit, regarder en arrière n’apportera pas de solution à ce genre d’incivilités. Restons confiants dans le futur et en nos jeunes en général !
Mais, malheureusement, les incivilités au village ne sont pas une exclusivité de la jeunesse. On continue, et c'est bien normal, de s’émouvoir des bouteilles de verre laissées à côté du container de collecte pour recyclage, ou des brûlages de déchets verts pourtant interdits, ou des nuisances sonores pour travaux de jardinage le dimanche après-midi, etc. Les adultes de tous âges sont ici aussi concernés...
Le comble de l’incivilité reste pourtant, à mes yeux, encore plus cruel, et quelque part révoltant si ce n’est déprimant. Je veux parler de cette incivilité qui finit par ne même plus choquer, et face à laquelle on démissionne. Il en va ainsi des places de stationnement réservées aux personnes à mobilité réduite. Que n’ai-je pas vu de conducteurs et conductrices de tout âge, sans aucun problème de mobilité et a fortiori sans le macaron dédié à cet effet, se garer sans le moindre scrupule sur ces quelques emplacements particuliers au centre du village ! La courte durée éventuelle de l’infraction assumée (d’autant plus facilement assumée qu’elle n’est pas ici verbalisée) n’excuse en rien cet acte d’irresponsabilité individuelle, ce “doigt d’honneur”, non seulement à l’autorité, mais surtout aux personnes à qui ces emplacements sont réservés.
Alors quand je constate qu’à l’occasion d’une réfection du revêtement du parking de l’ancienne gendarmerie, l’emplacement réservé aux personnes à mobilité réduite a été déplacé, je ne voudrais pas croire qu’il s’agit d’une renonciation. Je ne veux pas croire que, finalement, l’emplacement précédent, parce que très pratique, était si souvent utilisé par des personnes sans problèmes de mobilité que l’autorité compétente a fait son deuil de cet emplacement de choix pour en définir un autre, cependant beaucoup moins pratique et surtout beaucoup moins aisé d’accès et de manœuvre. J’ai eu beau essayer d’imaginer diverses justifications potentielles à ce changement hormis le renoncement, aucune n’a résisté à une analyse critique de base.
Ne nous trompons donc pas de dimension en considérant les incivilités au village. Les plus redoutables sont celles dont nous sommes tous complices en renonçant en silence, petit à petit, à des valeurs fondamentales, comme ici la bienveillance envers les plus vulnérables. L’incivilité, c’est dans le fond manquer de respect, de courtoisie envers ses concitoyens, c’est se considérer hors des règles de bienséance, ciment d’une société harmonieuse. Aussi, avec de telles attitudes d’adultes faisant fi de la vertu d’exemple, les a priori sur la jeunesse, comme j’en ai ici cité quelques-uns, ont-ils encore de beaux siècles devant eux.
“Il ne faut pas renoncer aux semailles à cause des pigeons.” / “Non cessar per gli ucelli, di seminar i piselli.” (proverbe italien).
Jean-Michel Cabanes