Quand il nous a fallu choisir en début d’année une nouvelle voiture de ville, nous avons opté avec mon épouse pour un modèle “hybride”, économe en combustible et donc davantage respectueux de l’environnement. Je n’imaginais pas alors à quel point ce choix allait changer mon style de conduite, et surtout ma relation au temps.
Le principe de base des véhicules hybrides est de récupérer une partie de l’énergie cinétique du véhicule pendant le freinage, pour la réutiliser après lors des accélérations ou roulages à faible allure afin que le moteur thermique consomme moins. Dans les faits, un moteur électrique entraîné par les roues fait office de générateur (comme la dynamo d’un vélo) lors des freinages afin de produire de l’électricité et recharger la batterie. Celle-ci alimente ensuite le même moteur électrique pour entraîner la voiture avec cette énergie "gratuite", baissant ainsi la consommation. Dans ces conditions, la consommation en combustible est fortement réduite à des vitesses inférieures à 60 km/h. Ce qui en fait donc un moyen de transport idéal en milieu urbain.
Les circonstances nous ont cependant conduit à délaisser notre lieu de vie en région parisienne pour venir nous réfugier dans la maison familiale, à Arthez de Béarn, en milieu rural. Confinement oblige, les sorties en voiture sont rares et consistent principalement à se rendre à la ville voisine, située à une quinzaine de kilomètres, pour des consultations médicales ou achats de première nécessité au supermarché. Le trajet emprunte une route départementale à travers champs avant de rejoindre une ancienne route nationale. Habituellement amateur de vitesse soutenue dans les limites autorisées, je pestais alors contre les papis qui prenaient tout leur temps, bien calés dans leurs sièges au volant de voitures en règle générale bien propres… “C’est que je n’ai pas de temps à perdre !” …
Or, voilà que par la magie de ce nouveau véhicule hybride, mes certitudes ont évolué. En effet, le compteur qui, bien en vue au milieu du tableau de bord, indique clairement les moments où on roule gratuitement, ne laisse pas insensible. La tentation est alors grande d’ajuster sa vitesse entre 60 et 70 km/h, comme dans une sorte de jeu video. Et que dire de la satisfaction personnelle de rouler sans polluer, de ne pas rajouter aux causes du dérèglement climatique tristement de plus en plus pesant dans notre vie quotidienne. Je dois aussi avouer me sentir de facto plus serein au volant, et donc avoir un sentiment de plus grande maîtrise de mon véhicule en termes de sécurité routière.
Mais, me voilà donc à perdre du temps ? En effet, le trajet dure davantage… mais à peine de une à deux minutes… soit, dans le fond, bien moins que les écarts de temps possibles à faire la queue aux caisses du supermarché ! Donc, sans réelle incidence sur mon agenda journalier, indépendamment de ma nouvelle condition de retraité.
En réalité, cette chasse au temps perdu à laquelle je m’adonnais me semble avec le recul un mauvais calcul, ou plutôt un calcul biaisé par une sorte de logique irréversible de course contre le temps. Il suffit de se pencher sur l’histoire des moyens de transport. Rappelons-nous que jusqu’au début du XX siècle, l’échelle de temps des déplacements était calée sur la vitesse de la marche à pied, soit environ 4 à 5 km/h ; aller à la ville voisine, distante de 15 kilomètres, prenait donc 3 à 4 heures… et autant pour le retour. Aujourd’hui avec la voiture, ce même déplacement dure de l'ordre du quart d’heure, et de rouler à 80 km/h au lieu de 60 n’y change pas grand-chose. Alors prenons le temps !
Ce qui vaut pour les déplacements de cette amplitude est encore plus vrai pour les déplacements au sein même du village. Alors que la vitesse y est limitée à 30 km/h au centre- bourg, il est de notoriété publique que les excès de vitesse y sont fréquents. Pour le coup, les gains de temps se calculeraient en secondes… alors que les risques d’accidents, et pas seulement sur les chats qui peuvent passer par là, s’accroissent dramatiquement. Comme le bon sens et le civisme sont manifestement insuffisamment partagés, il conviendrait bien sûr de mettre en œuvre localement une politique plus drastique de sensibilisation, contrôle et sanction en matière d’excès de vitesse. Les responsabilités en la matière sont claires, et on ne peut qu’être impatient à se réjouir des effets d’une telle politique… ou serais-je de nouveau pris ici par la frénésie du “temps à ne pas perdre” ???
Ainsi donc, si du côté de Mesplède ou Balansun, il vous arrive d’être ralenti par une berline grise, pas toujours rutilante, c’est probablement moi. Ne vous excitez pas, prenez le temps de décompresser. Il ne vous en aura coûté à peine que quelques secondes de votre journée, ça vaut le coup !
Et puis, comme aurait pu dire Giorgio, mon camarade italien d’école primaire, “chi va piano va sano e va lontano”... “qui va lentement, va sûrement et va loin”.
Jean-Michel Cabanes