L’animalerie juste à côté de chez moi affichait en grand, le mois dernier, une promotion de produits alimentaires pour chevaux. Une belle banderole qui ne pouvait que m'interpeller. Il était ainsi manifeste que les vaches des prés de mon enfance avaient bien quasiment disparu pour laisser place, à grande échelle pour mon village Arthez de Béarn, à ces élégantes montures. Au-delà de l’effet carte postale, de sérieuses questions de fond.
Il est vrai que, au cours de mes promenades, je note avec agrément de plus en plus de ces nouveaux occupants paître le long des chemins : zone sud du village vers le complexe sportif, chemin de Bareille, chemin Diserane, chemin dou bosc, etc. Leurs silhouettes élancées contribuent assurément à donner une image apaisante de la nature, très british, très société de loisirs. À la différence des vaches qui sont généralement associées à la chaîne productive alimentaire, que ce soit pour le lait ou la viande, qui génèrent du mouvement et laissent des bouses sur le macadam après leur passage. Et “si vous ajoutez à cela le bruit et l’odeur, le riverain, il devient fou”… Il n’en faut d’ailleurs pas plus à certains dorénavant pour intenter en justice, un peu partout dans le pays !
Mais donc définitivement fini le temps où, enfant, j’allais chercher le lait à la ferme juste en haut de la côte face à la maison. Je me souviens encore de l’épaisse crème qui couvrait systématiquement le lait qu’on faisait aussitôt bouillir. J'entends encore le cliquetis de l’anti-monte-lait qui, plongé dans la casserole, avertissait du débordement prochain du lait bouillant. Et pourtant, en voilà un circuit qui était court, et que je paierai volontiers à son juste prix aujourd’hui !
Mais où sont donc passées les vaches ?
La révolution productiviste d’après-guerre amplifiée localement par l’essor industriel du bassin de Lacq, dans les années ‘60, ont eu définitivement raison des schémas traditionnels de notre économie agricole. Parce qu’il semblait alors déraisonnable, voire impossible, de vouloir ignorer les progrès de la technologie, tant en matière d’outils de production comme de science agro-alimentaire, on a sacrifié progressivement la qualité de notre alimentation tout comme un certain art de vivre au village. Sans aucun état d’âme particulier. Voire même avec un certain enthousiasme, nous avons accompagné la transformation structurelle de notre village, sans même prendre le temps, à ma connaissance, d'imaginer une voie alternative de croissance.
Ainsi, en cinquante ans, alors que les troupeaux de vaches dans les champs disparaissaient petit à petit, le nombre de logements sur la commune a plus que doublé, tout comme le nombre de ménages. Certes la part des logements vacants aussi a quasiment doublé. La vocation résidentielle de notre village s’est ainsi affirmée au cours du temps. La logique immobilière a eu champ libre pendant ce demi-siècle écoulé. Aussi, à l’heure où le monde d’après est annoncé comme celui d’une remise en cause de notre modèle de développement pour mieux se recentrer sur notre identité profonde et mieux valoriser notre environnement naturel, serait-il pertinent d'accentuer encore davantage la dimension résidentielle de notre collectivité ? Au contraire, compte tenu précisément de l’état actuel du développement de notre village, n’est-ce pas le moment de réfléchir à ce en quoi pourrait consister par exemple un schéma d'encouragement à l’activité d’élevage bovin.
J’entends bien, ici ou là, vanter les circuits courts, l’agriculture raisonnée, les produits bio, et je suis le premier à me réjouir de cette prise de conscience citoyenne. Je crains néanmoins, pour être honnête, que nous en restions à une approche très bobo, qui nous rassurerait à peu de frais. Repeupler nos prés de vaches me paraît d’une toute autre ambition. Il nous faudrait alors être créatifs pour trouver un modèle social et économique qui permette le sain déroulement de cette activité ; le concevoir non pas comme un retour en arrière, mais tout au contraire selon un schéma moderne conforme aux exigences de qualité, et aux standards de vie du XXI° siècle.
Je n’y connais pas grand-chose à cette activité agricole, mais, on le sait bien, seules sont perdues d'avance les batailles qu'on ne livre pas. Gageons que d'aucuns plus avertis adhèrent à ce propos, et qu'ainsi nous puissions engager une réflexion collective pour relever ce vrai défi au sein de notre communauté. Comprendre d’abord précisément les difficultés structurelles tout comme les biais sous-jacents, comprendre les lobbyings potentiels et menaces de la grande industrie agro-alimentaire sur les petits et moyens exploitants, etc. Savoir sortir des sentiers battus pour aider à donner vie à ces projets de passionnés dont il m’arrive d'entendre parfois des échos. Oser, ensemble, imaginer et modeler ce monde d’après qui ne tombera pas du ciel, mais qui sera celui que localement nous aurons voulu et su construire. Viendra alors le temps de boire du petit lait, dans un village encore plus en harmonie avec sa nature environnante.
(À suivre… )
Jean-Michel Cabanes