J’y comprends rien !
Le processus de fermeture du bureau de poste de mon village semble fermement enclenché. Des explications ont été avancées de façon plus ou moins adroite, mais interrogent encore plus qu’elles n’éclairent. Quelques voix se sont élevées fin 2020, mais depuis silence. Alors faut-il se résigner à cette fermeture qui serait en train de passer… “comme une lettre à la poste” ?
Mon village, Arthez de Béarn, a connu son essor avec la découverte du gisement de gaz de Lacq, dans les années 1950. Sa population est ainsi passée de 880 habitants au mitan des années 1950 à environ 1900 habitants aujourd´hui. Chef-lieu de canton, il concentrait ainsi divers services qui cependant, depuis le début des années 2000, s'effacent progressivement du paysage. Ainsi l’agence d’une banque a été remplacée par des guichets automatiques, le bureau du Trésor public a laissé place à une permanence une après-midi par semaine, le renouvellement des pièces d’identité n’est plus assuré à la mairie. Et voilà venu le tour de la poste !
Les changements de comportements des usagers, l’évolution des moyens techniques dans l’internet, la baisse d’activité du bureau qui en découlerait, etc. renvoient au sacro-saint “modernisme” quiconque regretterait de voir partir un service public de plus. À la limite, je pourrais comprendre cet argumentaire, sans y adhérer pour autant.
En effet, de tels raisonnements de court terme conduisent immanquablement non seulement à la désertification à plus longue échéance de nos campagnes, mais aussi progressivement, mais sûrement, à une destruction irrémédiable de notre modèle de société. Or, les politiques publiques doivent s'inscrire dans la durée. L’exemple récent des trains de nuit illustre probablement le mieux cette exigence. En 2016, fruit d’une vision court-termiste, l’État annonce la suppression de toutes ces lignes sauf deux. Dans le cadre de ses réflexions sur la transition écologique, l’État est depuis revenu sur cette disposition et a annoncé la réouverture prochaine de plusieurs de ces trains de nuit, dont le Paris-Tarbes pour ce qui nous concerne au village. La dictature des scénarios économiques de court terme est loin d’être une fatalité, et peut motiver un combat légitime.
Telle était d’ailleurs la voie que s'apprêtaient à suivre les habitants début décembre dernier : une pétition s’amorçait pour le maintien de ce service public du courrier au village. Le maire jugea alors urgent, via un communiqué spécifique, de “clarifier la situation” “Afin de couper court à toute désinformation et dans un souci de transparence”. Ce communiqué a été retiré du site officiel de la commune depuis... mais copie est jointe au pied de cette tribune.
Dans ce communiqué notre premier édile précisait en l'occurrence que :
- ”Peut-être sommes-nous inquiets à tort et que nos craintes de fermeture sont infondées”,
- “Nous pensons que cet état de fait [ndlr. fermeture du bureau le samedi matin et fermetures fréquentes] ne laisse rien présager de bon quant au maintien, à terme, de ce service postal au sein de la commune”,
- “nous avons évoqué avec la Direction de la Poste, l'éventualité de création d’une Agence Postale Communale au sein de la mairie”,
- “mais qu’elles seraient les réactions des usagers que nous sommes si, du jour au lendemain, la Direction de la Poste nous informait d’une décision unilatérale de fermeture du bureau d’Arthez-de-Béarn, sans possibilité de solution alternative, au motif d’un manque de rentabilité ? …”.
La fermeture du bureau de poste y est donc clairement annoncée comme une menace, une hypothèse probable, mais pas encore comme une certitude. Au demeurant, on pourrait même se prendre à imaginer que "on verra ce qu'on verra, mais on ne se laissera pas faire !".
Or, dans ce même communiqué, le maire présente aussi la création d’une Agence Postale Communale au sein de la mairie, comme un fait accompli :
- ”l’amplitude d’ouverture de cette agence sera alors la même que celle de la mairie, avec le retour à une ouverture le samedi matin et les services identiques à ceux actuellement proposés par la Poste (courrier, relais colis, retrait d’argent…)",
- "La différence majeure résidera dans le fait que le personnel en charge du fonctionnement de cette agence postale relèvera d’une gestion communale ; c’est le sens de la délibération du conseil municipal en date du 02 décembre dernier, adoptée à l'unanimité, qui crée un emploi d’adjoint administratif de 2è classe à temps complet, dont le recrutement va être lancé prochainement pour une nomination en début d’année prochaine”.
Donc, un communiqué pour avertir d’une menace de fermeture ? ou annoncer la fermeture ?
J’y comprends rien !
Par ailleurs, si La Poste considère que l’activité dans ce bureau est insuffisante pour justifier l’emploi d’un seul permanent sur place (comme c'est le cas apparemment à ce jour), comment la mairie, dont ce n’est pas le métier, pourrait-elle significativement améliorer l’économie du service rendu avec un agent à temps complet (nb. qu’il faudra aussi remplacer lors de ses absences pour congés ou autres) ? ... sans compter qu'il lui faudra trouver un espace opérationnel substantiel pour la gestion des colis.
J’y comprends rien !
Et puis enfin, et surtout, qui va assumer in fine le coût de cet “adjoint administratif de 2è classe à temps complet” que la municipalité a décidé de recruter pour faire fonctionner cette future agence postale communale à temps complet ?
- pas La Poste, ça me parait clair !
- la commune ? Dans cette hypothèse, notre budget n’étant pas élastique, à quelle autre dépense l'équipe municipale aurait-elle choisi de renoncer ?
- la structure France services prochainement implantée au village ? Et d’ailleurs, je n’ai pas encore bien compris qui financera cette structure : l’État ? le département ? la commune ?
Or, la nature des réponses à ces questions n'est pas neutre. En effet, qu’un tel service public ne soit plus financé par la collectivité nationale mais par des unités territoriales (département ou commune, voire intercommunauté) saperait gravement les bases de notre modèle de société. Ce serait contribuer à mettre en pièces notre unité nationale, fondée sur la reconnaissance de la nécessité d’une solidarité entre citoyens sur l’ensemble du territoire. Pour pousser le raisonnement à l’absurde, si la commune devait financer ce service, il faudrait donc facturer ce service public à tout usager étranger à la commune... mais c'est peut-être prévu !
J'y comprends rien !
Il est donc urgent que l’équipe municipale nous éclaire proprement sur ce dossier. Comme pourrait le faire remarquer un conseiller municipal, avec une pointe d’arrogance que sa seule jeunesse ne saurait alors excuser, il est vrai que je suis retraité… et que je rentre donc dans une phase de la vie où mes capacités intellectuelles s'affaiblissent lentement, mais très sincèrement :
J’y comprends rien !
Ou plutôt, je ne comprends rien aux tentatives d’explication et aux contours des décisions de l'équipe municipale. Et surtout, compte tenu de la portée symbolique d’une telle évolution du service du courrier, il me paraît essentiel de bien connaître, de façon précise, l’amplitude de l’énergie déployée par cette équipe municipale en responsabilité pour défendre ce dossier du maintien du bureau de La Poste au village. Je reconnais, sans problème, le droit à quiconque de ne pas partager la même vision du service public, de la solidarité territoriale, de ne pas juger utile d'y mettre beaucoup plus de conviction à la défendre, et de se résigner rapidement. Mais pour reprendre l’objectif affiché d'entrée par le maire lui-même dans son communiqué du 16 décembre dernier : “Afin de couper court à toute désinformation et dans un souci de transparence, il m'importe de clarifier la situation”...
Jean-Michel Cabanes