Je n’y prêtais pas alors toute l’attention que l’événement mériterait aujourd’hui, parce qu’il revenait tous les ans. Au milieu des années ‘60, un berger et son troupeau de moutons, plus probablement brebis, traversaient la cité Bourdalat où, enfant, j’habitais. Dois-je définitivement ranger ce doux souvenir dans ma boite à nostalgies, ou pourrait-il être réhabilité au motif d’une utilité publique à caractère écologique ?
Ils descendaient par ce qui est aujourd’hui l’avenue des Pyrénées puis s'enfonçaient dans le chemin de Grabiel, dans mon village, Arthez de Béarn, situé à environ quatre-vingt kilomètres de Laruns, carrefour pastoral majeur au pied des Pyrénées. Je ne saurais être précis sur les périodes de l’année concernées, mais je m’imagine que ces passages s’inscrivaient dans le cycle des transhumances. Et dans cette hypothèse, ils coïncidaient alors avec le déclin progressif d’une tradition bien ancrée dans notre département des Pyrénées-Atlantiques.
La transhumance, qui correspond au déplacement d’un troupeau vers une zone où il pourra se nourrir (zones de plaine en hiver, pâturages de montagne en été), est en effet une pratique pastorale ancestrale. Ainsi, alors qu’en 1930, on comptait par exemple 20.000 ovins transhumants pour le Haut-Ossau, ils n’étaient déjà plus que 9.000 en 1960. De même, c’est en 1958 qu’un dernier troupeau de vaches appartenant à un habitant de Laruns est allé hiverner dans le Pont-Long, au nord de Pau, haut-lieu de l´histoire pastorale qui opposa pendant des siècles les habitants de la vallée d’Ossau, qui en revendiquaient la propriété, et les riverains.
Aujourd´hui la transhumance est surtout célébrée par des fêtes dans les vallées qui permettent aussi de découvrir les métiers du terroir. La structure économique de l’élevage des brebis a subi de nombreux changements radicaux, et les mouvements de troupeaux à moyenne et longue distance utilisent désormais des camions, du fait aussi de l’urbanisation croissante des campagnes.
Plus aucune chance donc de voir un jour un troupeau de brebis dans mon village ? Pourtant dans notre “monde d’après”, l’heure semble être au retour aux valeurs de proximité du terroir, à une plus grande prise en compte de la qualité de notre environnement ! Alors s’il est peut-être difficilement concevable de réactiver des chemins de transhumance par mon village, il est intéressant de noter que de plus en plus de collectivités, y compris urbaines, sollicitent dorénavant l’intervention d’animaux herbivores (moutons, chèvres, ânes, etc.) pour entretenir leurs espaces verts.
Cette approche traditionnelle, “l'éco-pâturage”, était devenue obsolète au milieu du XX° siècle, remplacée par des outils mécaniques et des désherbants chimiques, notamment à base de glyphosate. Mais la sensibilisation croissante du grand public à la préservation nécessaire de notre environnement naturel, ainsi que l’évolution de la réglementation correspondante, ont conduit à remettre en exergue la logique et la pertinence des solutions de type éco-pâturage. Les avantages sont multiples, et assez évidents, tels que : impact moindre sur l’environnement (réduction des émissions de carbone et des émissions sonores, zéro traitement, etc.), fertilisation naturelle, maintien et développement de la biodiversité, entretien des zones difficiles d’accès (zones humides, garrigues, sous-bois, terrains en pente, etc.), participation à la conservation et à la promotion des races anciennes et rares. Sans compter l’impact en termes d’image pour la collectivité, et tout simplement de plaisir à vivre dans un environnement ouvert à la diversité.
Bien entendu, l’impact financier est à mesurer précisément. Notons que, dans de nombreux cas, il s’évalue d'ailleurs en économies substantielles ! Une étude fine doit évidemment être menée (voire actualisée si ses bases datent) pour bâtir la solution la plus judicieuse, en considérant tout à la fois : la large panoplie des solutions possibles (sans exclure le désherbage mécanique en complément, selon les cas), le périmètre possible le plus approprié (terrains et forêts de la commune, propriétés de particuliers, espaces verts de communes voisines) ainsi que la prise en compte d’exigences environnementales comme peut l’être le fauchage raisonné de nos bords de routes.
Voilà donc une belle opportunité de rappeler un territoire à son histoire, tout en l’inscrivant dans la modernité d’une saine exigence écologique. Donnons un élan à notre ruralité avec détermination. Enthousiasmons-nous à l’idée de mieux vivre au village en harmonie avec un environnement naturel encore plus vivant.
Moutons de mon enfance, bientôt le retour ? Ânes, chèvres et brebis, bienvenus aussi.
Jean-Michel Cabanes