Le 12 octobre notre voisin, l’Espagne, célèbre sa fête nationale. Une date qui me rappelle à mes origines familiales. Tous mes aïeux jusqu’à mes parents sont en effet nés Espagnols. Et même si je suis né Français, que ma patrie est définitivement la France et mes origines espagnoles de plus en plus lointaines, je revendique néanmoins une sorte de double culture... au moins. L’occasion pour explorer ce concept de multiculturalisme, et en particulier se demander si la notion de “culture de village” est pertinente, tout comme peut l’être celle de “culture d'entreprise” par exemple, quand on considère une collectivité humaine de taille réduite.
Ma relation avec l’Espagne est certes aujourd´hui ténue, mais elle me renvoie à jamais aux femmes et hommes qui ont construit cette filiation dont je suis une émanation. L’histoire de leurs vies, les valeurs humanistes qui les animaient, leurs engagements m’inspirent un grand respect et une grande tendresse. Au point que je me serais enorgueilli de prendre aussi la nationalité espagnole si j’avais pu.
Fier bien sûr d’être Français, et fort des valeurs républicaines qui sont les piliers de la société dans laquelle j’ai grandi, j’ai été amené à vivre et travailler dans des milieux interculturels variés. En matière de culture d’entreprise, j’ai connu et apprécié celle d’un grand groupe de service public pendant un quart de siècle, qui s’est ensuite délitée à l’occasion d’une fusion avec un autre grand groupe industriel ; mais j’ai aussi contribué à la création d’une culture d’entreprise à l’échelle d’une société que j’ai été amené à diriger. Par ailleurs, au plan familial, avec mon épouse, d’origine chilienne, nous avons éduqué nos enfants à l’aune de nos deux cultures. Etc.
Dans le calme de mon lieu de résidence face aux Pyrénées, voilà maintenant une opportunité d’essayer de donner un sens personnel au mot “culture” et d’en imaginer d’éventuelles perspectives au plan local.
Alors certes, la culture est ce qui est commun à un groupe d’individus, et surtout ce qui les soude, pour reprendre des définitions usuelles : une histoire commune, des personnages de référence, des célébrations, des rites et traditions, une langue, des systèmes de valeurs, des modes de vie, etc. On pourra alors se revendiquer d’autant de cultures que de groupes d’appartenance. Le concept est inclusif, et non exclusif.
Mais à l’heure de la globalisation, on peut légitimement questionner la résilience de ce concept. En réalité, de mon expérience, c’est en étant conscient de la force et de l’originalité de ses propres racines culturelles qu’on pourra mieux valoriser la connaissance d’autres horizons. Le danger à mes yeux est la déculturation ou l'acculturation, c’est-à-dire perdre sa culture d’origine ou se diluer dans une autre plus “dominante”. La diversité des cultures est une vraie richesse pour l’humanité, et donc pour chacun d’entre nous, pour autant qu’on sache la distinguer, la préserver et la respecter.
Identité, culture, identité culturelle… les mots se marient, mais je ressens néanmoins quelques nuances. Alors qu’identité se réfère à un ensemble de caractéristiques plutôt tangibles, la culture s’adresse à la sphère des idées, des sentiments, du jugement. Je vois la culture comme ce bagage spécifique qui accompagne chacun d’entre nous, nous confère une dimension humaine, nous procure du plaisir, du réconfort, de l’énergie.
Ainsi en est-il en particulier de la “culture d’entreprise” quand elle réussit à recueillir l’adhésion du plus grand nombre. Dans de telles circonstances, chacun se sent pleinement considéré, pleinement conscient de contribuer activement à l’objectif de l’entreprise, et en retire une grande satisfaction personnelle. Il en ressort en même temps une grande cohésion et motivation de ce groupe d’individus.
Au périmètre d’une collectivité territoriale, il est par contre moins courant d’entendre parler de “culture de village”. Les querelles entre villages comme celle qui oppose les habitants de Longeverne à ceux de Velrans, dans la “Guerre des boutons”, restent du domaine de l’imaginaire collectif, et ne suffisent pas à créer une culture de village. Mais, dans le fond, quel serait l’intérêt, l’utilité d’une telle “culture de village” ? Si celle-ci n’est évidemment pas indispensable, quel en serait le bénéfice ?
Des habitants qui, en grand nombre, partageraient des valeurs communes comme, par exemple, le respect de l’environnement, la convivialité, la solidarité, le sens de l’engagement, de l'éthique. Des habitants qui, au-delà de les partager, seraient suffisamment enthousiastes pour participer activement à mettre en pratique ces valeurs au sein de la collectivité. Des habitants qui, en grand nombre, participeraient à la vie du village, adhèreraient aux grands projets de la communauté. Des habitants qui goûteraient la vie au village comme un vecteur d’épanouissement personnel.
Un cadre a priori assez idyllique d’une société. Et pourtant, y accéder me paraît plausible ; d’autant que, au niveau d’un village, les enjeux idéologiques (souvent les plus clivants dès l’échelon territorial supérieur) ont peu d’emprises. Je perçois intuitivement que la taille du groupe d'individus est un facteur-clé de succès, sans pouvoir en quantifier un seuil ; ce qui est raisonnablement envisageable ici pour un village de 100 habitants, le serait plus difficilement pour 5000 habitants. Quels pourraient être d'autres facteurs de succès ?
Motiver et mobiliser les habitants du village nécessitent de la crédibilité des dirigeants institutionnels de la communauté, non seulement au niveau des actions et projets qu’ils portent, mais surtout de leurs personnalités. Être crédible, avoir du charisme, savoir écouter et savoir communiquer, inspirer confiance et respect, savoir susciter et montrer un réel intérêt pour les initiatives, savoir insuffler une authentique dynamique collective, prendre plaisir à partager, à débattre les idées, tout comme à co-construire.
En conclusion, si le concept de culture couvre plusieurs réalités qui peuvent se superposer, allant de la culture nationale à la culture familiale, en passant par la culture d’entreprise, l’acception de “culture de village” me semble à ce jour peu explorée. Or en prendre formellement conscience, valoriser et capitaliser les meilleures pratiques, pourrait pourtant faire progresser la qualité du tissu relationnel dans la gestion des collectivités, et permettre d’en finir avec les situations, trop souvent constatées, d’administration technocratique qui n’ont à craindre qu’une sanction potentielle tous les six ans, à l’occasion des élections.
De fait, à la réflexion et contrairement à mon affirmation antérieure, oui, la “culture de village” me semble indispensable, autant qu’il en va de la recherche du bonheur de vivre en collectivité.
Jean-Michel Cabanes