Ce 19 octobre nous célébrons le 400° anniversaire du rattachement du Béarn à la France. L’occasion pour se replonger dans l’histoire de notre Béarn. L'occasion aussi de souligner dans l’histoire moderne du peuple béarnais, et notamment au XVI° siècle, deux traits remarquables du combat pour le maintien de la souveraineté de ce territoire : la capacité des femmes à en prendre en mains la destinée, et la relation de la population à l’autorité.
C’est donc Louis XIII qui imposa le rattachement à la couronne de France du royaume de Navarre (qui n’était plus qu’un petit territoire au nord du col de Roncevaux) et du “pays souverain de Béarn”. Son père, Henri IV (Henri III de Navarre), avait dérogé à la coutume consistant pour le nouveau roi à intégrer ses biens propres à ceux de la couronne… on en était resté dès lors à roi “de France et de Navarre”.
Pendant le premier âge médiéval, la vicomté de Béarn avait réussi à établir une certaine autonomie en maintenant des liens précaires avec leurs suzerains, qu’ils fussent ducs de Gascogne, rois d’Aragon ou rois d’Angleterre. Ensuite, à l’occasion de la Guerre de Cent ans, et profitant en particulier de la position excentrée du Béarn, Gaston Phébus proclama qu’il tenait de Dieu ce territoire, qu’il ne reconnaissait donc aucun autre supérieur, et obligea les rois de France et d’Angleterre à traiter le Béarn en pays souverain et neutre dans ce conflit.
Mais au XVI° siècle, les vicomtes de Béarn devenus rois de Navarre étaient pris en tenailles entre les royaumes de France et d’Espagne qui cherchaient chacun à annexer ce territoire excentré, conformément à la doctrine d’unification et de centralisation monarchiques qui caractérisait la sortie du Moyen-Âge dans ces royaumes. Le caractère de souveraineté du Béarn ne cessa alors d’être sujet de controverse.
Catherine de Navarre (arrière grand-mère d’Henri IV), première femme à régner en Navarre rejetant ainsi la loi salique, réussit en 1512 à faire renoncer Louis XII à l’annexion du Béarn, en échange de l’alliance béarnaise contre la Castille… mais ce ne devait être qu’une simple trêve.
En mariant sa sœur, Marguerite d’Angoulême, au fils de Catherine de Navarre et Jean d’Albret, Henri II d’Albret devenu roi de Navarre en 1517, François I° pouvait penser que l’emprise française sur le Béarn s’affirmerait plus que jamais. Cette union eut en fait un résultat inverse. Marguerite d’Angoulême (grand-mère d’Henri IV), princesse humaniste, sans adhérer elle-même à la Réforme, favorisa la diffusion en Béarn des idées nouvelles. En protégeant les prédicateurs de l'Évangélisme contre la justice de son frère, Marguerite d’Angoulême avait commencé à faire du Béarn un pays refuge pour les persécutés. De son fait, les officiers français ne pouvaient pénétrer, à leur poursuite, dans ce pays situé hors des limites du royaume, sans l’autorisation d’Henri II d’Albret.
Une étroite relation commençait à s’établir entre la souveraineté du Béarn et la défense de la Réforme : ces deux causes en arrivèrent à s’identifier sous Jeanne d’Albret. Marguerite d’Angoulême contribua en effet fortement à influencer sa fille unique, Jeanne d’Albret (mère d’Henri IV) qui, calviniste convaincue, n’eut de cesse avant d’avoir proscrit le catholicisme du Béarn. Désormais les rapports entre le royaume et la vicomté furent en partie dominés par la lutte mettant aux prises les deux Églises.
Voilà donc trois femmes qui marquèrent sans discontinuité l’histoire de notre territoire, en luttant de façon décisive pour lui préserver tout son caractère, son autonomie, sa forte identité. Intéressant de noter que, accessoirement, aucune d’entre elles ne naquit en Béarn, si ce n’est respectivement à Mont-de-Marsan, Angoulême et Saint-Germain-en-Laye.
Un autre fait pesa lourdement sur les rapports entre le royaume de France et la vicomté de Béarn à cette époque. En France l’absolutisme triompha définitivement au XVI° siècle ; en Béarn, les États (assemblée représentative), devenus le bastion du protestantisme, conservèrent leurs prérogatives. L’union avec la France aurait signifié donc, pour la majorité protestante des États, non seulement le rétablissement du catholicisme, mais également, avec l’introduction de certaines pratiques absolutistes, la fin des libertés locales, incarnées par les Fors (sorte de code législatif, ou de constitution).
En cette fin du XVI° siècle, au royaume de France, mais aussi en Angleterre, les “monarchomaques” mirent au point des théories favorables à la division des pouvoirs, et considéraient qu’il existait un “pacte mutuel entre le roi et les citoyens”, ce qui était la négation même de l’absolutisme.
Reflétant cette thèse, la vie politique en Béarn aurait ainsi été régie par un double contrat : l’un entre le vicomte et son peuple, l’autre entre le peuple et l’assemblée chargée de le représenter (les États). Dans les deux cas, le respect des Fors était à la base du contrat. Il en résultait que la légitimité du vicomte ou des États, aux yeux du peuple, dépendait de leur respect des Fors. Ainsi le peuple détenait-il le pouvoir, mais il ne pouvait l’exercer que par l’intermédiaire de ses délégués groupés dans de petites assemblées locales où l’aristocratie dirigeait en fait. Le Béarn de l’époque était un exemple particulièrement probant, avec ses États, de ce véritable fédéralisme aristocratique. On retrouve d’ailleurs aussi à l’époque l’influence de ces mêmes théories monarchomaques en Angleterre et aux Pays-Bas.
Si avec notre regard contemporain, la logique de ce système représentatif est d’une certaine façon ordinaire dans un univers démocratique, il n’en reste pas moins que, en Béarn, les racines de ce concept sont profondément ancrées dans notre histoire, notre culture collective. À ce titre, il est agréable d’imaginer que dans nos collectivités, en Béarn plus qu’ailleurs, la population se considèrerait encore plus intimement détentrice du pouvoir, et davantage sensible à l’usage qu’en feraient ses représentants.
Quatre siècles ont donc maintenant recouvert cette ambition de souveraineté dont s’était épris le Béarn. Suffisamment de temps pour s’assurer que les traits des habitants de ce bout de terre au pied des Pyrénées ici mis en exergue sont résilients ou pas, si ce sont des "forces souveraines" ou pas. Je me plais à y croire, ce serait tellement en phase avec les prétentions de notre société comme le sont un rôle majeur des femmes dans notre système de gouvernance, et une participation et responsabilisation citoyennes accrues. Quoiqu'il en soit, ces femmes de pouvoir l’ont bien montré : on s’attache vite à cette terre, quand bien même on n’y est pas né !
Jean-Michel Cabanes,
très largement inspiré, voire repris en partie, des ouvrages de Pierre Tucoo-Chala, historien par excellence du Béarn.