L’abbé Armand Paillé quitte la paroisse de mon village, Arthez de Béarn, dans quelques jours. Malgré mes distances avec l’Église, je garderai un souvenir chaleureux de ce prêtre, tant comme sincère serviteur de sa foi que comme acteur enthousiaste au sein de notre cité.
L’abbé Armand, ce n’est pas Don Camillo ni le curé de Cucugnan. Mais quelle énergie ! La première fois que je l’ai croisé, il avait fière allure sur son vélo à grimper une côte de vers chez moi, tout de noir vêtu, béret bien enfoncé, saluant avec allant, le bras levé et un sourire radieux aux lèvres. Une première impression qui en imposait manifestement de sympathie, et qui devait se confirmer au fil de nos rencontres dans la vie courante du village.
Il m’a été donné par la suite d’assister à quelques-unes de ses célébrations. L'intensité de sa dévotion, la passion dans son engagement, la manifestation peu ordinaire de sa ferveur, m’ont de fait conduit à un profond respect pour sa personne. J’ai rapidement perçu en effet dans cet abbé une authenticité, une sincérité qui n’ont d’égal que son humilité. “Soyez dans la joie et l'allégresse" exhorte le pape François, reprenant une parole sainte ; et de préciser dans sa déclaration “Ce qui importe, c’est que chaque croyant discerne son propre chemin et mette en lumière le meilleur de lui-même, ce que le Seigneur a déposé de vraiment personnel en lui et qu’il ne s’épuise pas en cherchant à imiter quelque chose qui n’a pas été pensé pour lui”. L’abbé, un “type bien”, comme j’aime à qualifier ces personnes que j'apprécierais de côtoyer, indépendamment ici de nos différences de conviction religieuse, ces personnes avec qui je partagerais mon pain avec plaisir.
La plus belle de ces célébrations fut évidemment pour moi, en septembre 2016, le mariage de ma fille avec son époux, originaire d’Amérique latine. Cette bénédiction reste à jamais un souvenir des plus tendres et joyeux à la fois. L’abbé eût l’élégance d’officier, de sa propre initiative, à parts égales en français et en espagnol, à l’attention des parents et amis du marié qui, pour une grande part, ne comprenaient pas notre langue. Je devine les efforts de préparation de cet acte bien particulier pour l’abbé Armand, et donc le temps qu’il a dû y consacrer ! Il mania avec brio ce bilinguisme, tout en dirigeant la cérémonie avec beaucoup de dynamisme. Il sut conjuguer à merveille la liturgie du mariage, ses rites et ses messages de foi, avec les nombreuses interventions des parents et amis des mariés, et la participation active de l’assistance en général. Au final, cette bénédiction fut un vrai moment de communion, de “joie et allégresse”, bien au-delà d’une bénédiction ordinaire. Une cérémonie intimement conforme au rite du sacrement, et d'une grande modernité à la fois. Bravo et merci l’Abbé.
De façon plus générale, comment ne pas être interpelé par un tel profil de curé ? N’est-il pas celui à même de maintenir, voire conforter, la place de (ou une place à) la religion dans nos communautés, alors que depuis des décennies la culture chrétienne recule inexorablement dans notre société et que de moins en moins de Français croient en Dieu ? Dans ce contexte, on pourrait même s’interroger sur le futur à moyen/long terme de ces structures paroissiales qui quadrillent le territoire. Des questions qui me taraudent un peu l’esprit. Un article m’a cependant aidé à progresser dans ma réflexion, dont l’extrait ci-après :
L'appartenance religieuse est une notion ambiguë, qui recouvre deux réalités distinctes qu'il convient de distinguer : la foi (être croyant) et l'existence d'un sentiment d'appartenance au corps socio-religieux que forme une confession, son histoire et son emprise socio-culturelle sur un territoire (être lié à une religion). La plupart des études distinguent ces deux notions, et insistent sur l'importance d'une telle distinction, notamment en ce qui concerne l'interprétation de leurs résultats. Par exemple, l'étude publiée en 2019 par l'Observatoire de la laïcité estime à 37 % la proportion de Français se déclarant croyants (31 % de non-croyants ou athées, 15 % d'agnostiques), mais 48 % des Français se déclarent liés à la religion catholique (34 % se déclarant liés à aucune religion, 7 % ne souhaitant pas répondre). De fait, malgré le recul de la pratique religieuse en France, des millions de Français se déclarant non croyants se revendiquent en parallèle comme liés à la religion catholique d'un point de vue social mais non religieux, notamment pour des raisons d'héritage historique.
Me voilà parmi les 48 % se considérant “liés à la religion catholique” quelle que soit leur conviction à ce jour… je me sens moins seul. Comme, sûrement, la plupart de ces “48 %” je ne renie rien de mon éducation religieuse et de son apport dans la construction de l’homme que je suis aujourd'hui, même si je ne suis pas sûr que sans cette éducation j'eusse été foncièrement différent. Alors oui, je me retrouve parmi ces millions de Français qui se revendiquent “liés à la religion catholique d'un point de vue social mais non religieux, notamment pour des raisons d'héritage historique”, et surtout d'héritage culturel familial. Ni pratiquant, ni croyant, mais n'imaginant pas notre société sans un tel cadre religieux. Position ambiguë, sans aucun doute, mais, manifestement, nous sommes quelques millions en France sur ce chemin de pensée.
Pour en revenir à mon questionnement initial, j’estime ainsi utile, voire nécessaire, de maintenir la présence de religieux sur le terrain. Néanmoins, selon moi et à l’instar de l’abbé Armand, la clé du succès de leur mission résidera probablement dans l’art de savoir affirmer leur présence avec charisme. Au sein de leurs paroisses par une pratique de la foi tout à fait personnelle et rafraîchissante. Hors de leurs églises, par une présence soutenue et empreinte "de joie et d'allégresse" dans la communauté civile.
Vous l’aurez compris, l’abbé Armand restera pour moi une référence privilégiée. Dans sa future paroisse en vallée d’Ossau, au cœur des Pyrénées, il continuera à exercer son ministère avec enchantement, à n’en pas douter. Et puis il pourra aussi continuer à pratiquer le béarnais … et le vélo.
Adishatz l’Abbé et bonne route.
Jean-Michel Cabanes