Malgré notre inimitié légendaire pour les Anglais, j’avoue ressentir une certaine admiration pour la robustesse de leurs institutions et de leurs traditions. On peut bien en effet leur concéder d’être la plus vieille démocratie parlementaire au monde. On peut aussi leur reconnaître d’avoir vu naître et s’imposer l’endroit probablement le plus fameux au monde de la libre expression individuelle, dans le prestigieux Hyde Park, au cœur de Londres : “speakers’ corner”. En quoi d’ailleurs ce “coin des orateurs” peut-il être source d’inspiration ? Est-il vraiment utile ? Si oui, comment le matérialiser à l’échelle de nos villages ?
la genèse du “speakers’ corner”
Même si le “speakers’ corner” a été officiellement créé par décret en 1872 comme un lieu où chaque dimanche tout citoyen peut s’exprimer librement en public, son origine est bien plus ancienne. En réalité, cet endroit de Hyde Park accueillait dès le XII° siècle les exécutions capitales par pendaison en public. Et c'est vers le XVII° siècle que les derniers mots des condamnés deviennent de véritables prises de position politiques. “Ils donnaient de véritables discours pour ou contre le gouvernement en place et recevaient presque toujours la sympathie de la foule, et ça finissait souvent en émeute” explique un expert universitaire dans un article récent. C’est d’ailleurs ce qui pousse, en 1783, le pouvoir en place à exécuter les condamnés dans des lieux fermés comme les prisons…
Ce “coin des orateurs” qui a donc traversé les âges, a vu débattre sur tous les sujets d’actualité, essentiels ou pas. Il fut un haut lieu du combat pour la démocratie au Royaume-Uni, comme par exemple pour la liberté de réunion, le droit de vote, la liberté d’opinion, l’anti-impérialisme, etc. Des tribuns de toutes conditions y sont intervenus, même Karl Marx, Lénine ou George Orwell pour en citer parmi les plus célèbres. Et comme le précise un arrêt de la Haute-Cour de justice britannique de 1999, “la liberté de discours n’est pas limité à l’inoffensif mais étendue aussi à tout sujet extravagant, hérétique, provoquant ou non la bienvenue, et cela aussi longtemps qu’un tel discours ne tendrait pas à provoquer la violence".
la liberté d’expression individuelle : quel usage en faire ?
Le droit à la liberté d’expression est un droit fondamental qui a sa place dans tous les textes internationaux relatifs aux droits humains. Néanmoins sur une grande partie de notre planète, il ne peut s’exercer que partiellement, voire même pas du tout, selon les régimes politiques en place.
Pour autant, là où il n’existe aucune restriction institutionnelle, beaucoup préfèrent en user avec parcimonie. On peut le regretter.
Or, au niveau individuel, la liberté d’expression, avec le plein usage qu’on peut en faire, est essentielle pour le développement et l’épanouissement de chaque individu. De plus, la libre expression des idées permet la recherche de la vérité et l’approfondissement du savoir, la participation aux processus de prise de décision. La liberté d’expression permet également aux citoyens de faire connaître aux autorités en place ce qu’ils pensent et celles-ci peuvent alors mieux interagir et répondre à leurs préoccupations. Elle est ainsi indispensable à la stabilité et à la flexibilité de toute société.
Comme le disait Jules Romains dans son ouvrage Les gens de bonne volonté : “Une démocratie c’est d’abord ça : une façon de vivre où les gens osent se communiquer les choses importantes, où ils se sentent en droit de parler comme des adultes, et non comme des enfants dissimulés”.
la liberté d’expression individuelle : quel véhicule ?
L’usage du droit à la libre expression individuelle étant posé comme un vecteur de développement personnel tout comme de progrès pour la collectivité, se pose la question de son support, plus particulièrement à l'échelle d'un gros village comme le mien, Arthez de Béarn.
Le tête-à-tête avec les interlocuteurs en capacité de décider, la conversation de comptoir, la discussion à la sortie de la messe ou dans la file d’attente du fromager les jours de marché sont certes des voies de communication utiles et à encourager, mais ne permettent pas de s'inscrire dans une démarche de construction globale représentative à l’échelle d'une communauté de 2000 habitants !
L'accès aux médias d’information, comme les journaux, résoudrait ce travers en permettant de faire savoir ses opinions au plus grand nombre. Mais il est loin d'être ouvert à tout un chacun, et encore moins à tout instant et pour toute idée.
Rejoindre une association, un syndicat, un parti, un mouvement d’idées ou de revendications, comme on a pu l’observer avec les “gilets jaunes”, pour donner de la force à ses opinions, peut aider aussi à mieux concrétiser et valoriser l’usage de sa propre liberté d’expression. On peut toutefois craindre une certaine dilution de ses idées dans la masse, une atonie de la vigueur de ses points de vue.
Compte tenu de ces différents inconvénients, on comprend alors mieux le succès du "speakers' corner” de Hyde Park, qui a d’ailleurs rapidement essaimé dans plusieurs grandes villes. Ici, quiconque peut s’adresser librement au public, sans distinction d’expérience, d’origines, sans filtre de thématiques. Et ici le public peut interagir en direct, contribuant de facto à nourrir la réflexion et l'émergence de solutions collectives. La démocratie à l’état pur. Mais une pratique difficilement extrapolable telle quelle à la dimension d'un village.
Par contre, aujourd´hui recourir à des réseaux sociaux peut procurer cette bonne adéquation. En offrant à tout un chacun d'exercer sa liberté d’expression individuelle et en facilitant la discussion, des plateformes, pages et autres blogs permettent en effet de retrouver ce contact avec le public sans aucun artifice... comme un “speakers’ corner” des temps modernes.
Arthez-tribuneslibres.fr , ma plateforme de liberté d’expression individuelle
Voilà donc juste un an, j’initiai ce blog. À l’instar du “speakers’corner” j’y ai diffusé chaque fin de semaine, et de façon tout à fait ouverte, une tribune libre personnelle sur un thème qui me tenait à cœur, et en général d’actualité dans mon village. Chaque semaine, le plaisir intense de creuser un sujet et d’en structurer le développemen l’emportait vite sur le léger, mais salutaire, stress de la page blanche, pour être bien sincère. J’y ai bien ressenti les vertus de l’acte d’écriture que j’annoncai dès ma tribune "message in a bottle", en particulier dans le contexte de confinement qui a marqué cette période : écrire pour vivre heureux, écrire pour militer et écrire pour mieux vivre en société.
Je maintiendrai dorénavant actif ce blog en y intervenant à une fréquence aléatoire et quoiqu'il en soit sur les sujets propres à la gestion de mon village. Je consacrerai en effet très bientôt mon temps à retrouver une vie “normale”, hors confinement, et à démarrer un autre projet d’écriture.
Je rappelle enfin que ce blog est ouvert à tous, tant en lecture qu’en écriture, comme je l’avais précisé dans ma toute première tribune introductive "prends la plume, exprime-toi". Dans le cadre du propos de mon blog, j’invite donc tous les fervents partisans d’un usage sans modération de leur liberté d’expression individuelle à m'adresser leurs tribunes libres pour les y publier. Nous contribuerons ainsi à ancrer dans nos villages les pratiques toujours plus nécessaires et enthousiasmantes d’une démocratie participative.
Jean-Michel Cabanes