Nous sommes donc sur la bonne voie pour sortir de ces histoires de confinement Covid, et retrouver progressivement notre mode de vie “normal”. La solution passait bien évidemment par une campagne massive de vaccination au plan national, et on ne peut que regretter qu'elle ait démarré si lentement.
Pour ma part, j’aurai donc vécu environ quinze mois dans un contexte d’isolement plus ou moins sévère, avec ma mère et mon épouse. Une expérience probablement tout à fait unique dans ma vie. J’ai comme le sentiment de sortir d’une expérience de celles où l’on vit quarante jours au fond d’une grotte, plongé dans l'obscurité. Les enseignements peuvent être divers, et je crois bien qu’il faille rapidement les exprimer avant que le temps nous en fasse oublier la profondeur, ce qui arrive bien plus vite malheureusement qu’on pourrait l’imaginer. Ainsi partagerai-je ici un vécu qui me touche avec beaucoup d'affection.
Pendant un an de cette période, tous les jours, autorisation de sortie réglementaire en poche, nous sortions marcher avec ma mère, nonagénaire, avant que des ennuis de santé nous conduisent à en suspendre la pratique. Notre promenade se limitait à faire un tour d’une demi-heure dans la cité où nous habitons. Il s’agissait avant tout d’un exercice physique à faible allure, en même temps que de s’aérer l’esprit. Le quartier étant calme, les opportunités d’échanges étaient malheureusement réduites. Aussi, dès qu’un visage connu avait la courtoisie et, bien plus, la gentillesse de nous adresser quelques mots de l’autre côté du trottoir ou d’un grillage, notre balade de routine s’égayait et les mollets de Maman devenaient plus légers.
Et que dire de ces personnes en voiture qui, avec beaucoup de délicatesse, prenaient le temps de s’arrêter pour s’inquiéter de la santé de ma mère, voire partager quelques moments de nos vies familiales respectives “à distance”.
Dans un tel contexte d’isolement, où la monotonie finirait par l’emporter jusqu’à ne plus savoir le jour de la semaine, sauf le dimanche et son Jour du Seigneur à la télé, on comprend aisément aussi comment recevoir un simple coup de téléphone ou un gentil mot est capable de rompre la platitude de ces longues journées pour les personnes âgées.
L’isolement des personnes âgées est en réalité une situation dont on ne peut vraiment prendre toute la mesure qu'en la vivant ou en la partageant en chair et en os. Il est important d’ailleurs de bien prendre conscience que, à cette étape de la vie où la mémoire et les sens comme la vue ou l'ouïe commencent à faire défaut, l’isolement est bien plus qu’une simple notion de mesure géométrique.
En prolongeant ma réflexion sur les conditions de vie sociale de nos anciens, me revient à l’esprit le questionnement sur la meilleure localisation possible de la maison de retraite au sein de la commune : en centre-bourg ou excentrée au milieu des champs ? (cf. ma tribune “N’Haux ville-nouvelle” peut attendre). Chacune des deux solutions présente certes des avantages et des inconvénients.
Mais ce qui me paraît encore plus une évidence aujourd’hui, c'est que la maintenir dans le centre-bourg n’a vraiment de sens que si on l’intègre d’un point de vue sociologique dans la vie de la commune au quotidien, contribuant ainsi à sortir les résidents de leurs isolements individuels probables. Comme pierre de voûte d’une telle ambition, il nous faut alors leur garantir les conditions d’une promenade dans le village, à tout le moins sur la rue principale (ce qui n’est absolument pas le cas aujourd’hui), en toute sécurité et avec le confort qu’exigent les organismes d’un âge avancé.
Dans le cas contraire, la solution excentrée leur sera incontestablement plus agréable avec une infrastructure de maison de retraite plus commode. Mais quelle tristesse que de priver alors des anciens encore alertes d’une vie au cœur du village...
L’isolement des personnes âgées, un vrai problème de société qu’on ne peut ignorer dans ses différentes dimensions. Miser sur un “monde d’après” où nous serions devenus collectivement plus raisonnables et moralement plus généreux pour résoudre de tels problèmes, je n'y crois pas et je le regrette. En revanche, j’ai foi en la capacité de chacun à savoir regarder sous un angle nouveau des situations ordinaires, et à adapter en conséquence ses comportements.
Personnellement, je mesure dorénavant avec encore plus d’acuité la détresse silencieuse des personnes âgées vivant dans l’isolement social. Quelques mots, quelques gestes, quelques attentions, quelques marques d’intérêt, tous aussi simples que sincères, suffisent pourtant bien souvent à illuminer leurs journées. Gardons-le plus que jamais présent à l'esprit, et sachons créer les conditions de telles interactions.
“Bonjour, comment ça va ?”
Jean-Michel Cabanes