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9. “un torrent de cailloux roule dans ton accent”

 

La belle affaire ! Et voilà que notre Premier ministre “a un accent”.

Accessoirement celui du “terroir, des troisièmes mi-temps et du foie gras” selon quelques amateurs de clichés refroidis. Mais plutôt que d’en sourire avec une pointe d’ironie, réjouissons-nous-en qu’il ait un accent !

 

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Quelle fierté d’avoir un accent marqué ! Un trait de personnalité comme l’est un trait du visage, mais aussi un témoignage sonore de la diversité de notre patrimoine culturel. Puisqu’il s’agit bien de ça : un bien collectif, l’émergence musicale de racines régionales, cette musicalité qui apporte réconfort et émotion quand on la croise alors qu’on n’y pensait plus. L’accent, beaucoup en parlent mieux, certains en font des thèses, d’autres des poèmes comme celui que je joins en fin de tribune. Je viens seulement ici apporter mon regard, pour ne pas dire mon écoute, sur le sujet, fondé sur mon chemin de vie.

 

 

 

Petit, au village, on raillait, bon enfant, notre camarade Armand à qui Claude Nougaro aurait pu aussi dire qu’ “un torrent de cailloux roule dans ton accent”. Dans ces mêmes années de collège, je m'évertuais, tout comme mes petits camarades, à prononcer mes premiers mots d’anglais avec accent british. Je me souviens aussi que mon accent de “rapatrié” révélait bien que je n’étais pas du coin (quand bien même je n’avais pas encore trois mois quand j’étais arrivé en Béarn), ce qui ne manquait pas de générer des “distanciations sociales” ... La notion d’accent a donc très tôt pris dans mon esprit une dimension critique, contraignante voire, quelque part, douloureuse.

 

Mais mon cheminement à travers le temps et le monde m’a ensuite vite fait relativiser la portée de l’accent, notamment à travers les trois langues que j’ai dû pratiquer dans la vie courante.


 

Au plan professionnel, j’ai rapidement laissé tomber l’angoissant objectif de prononcer l’anglais à la british. En effet, la généralisation de l’usage de cette langue dans le monde des affaires a conduit à distinguer “l’anglais de la vie courante pour les anglo-saxons” de “l’anglais international pour le monde des affaires et des voyages”. Dans celui-ci, plus aucun complexe du tout en matière de prononciation ! Au contraire, l’accent devient ici une information amusante, mais sans malice, sur la nationalité des interlocuteurs. “L’anglais international” est une sorte de Tour de Babel des accents, mais où tout le monde se comprend sans problème, se concentrant uniquement sur le sens des mots et les structures de langage. Quant à “l’anglais de la vie courante pour les anglo-saxons”, il renferme évidemment une multitude d’accents bien marqués parmi lesquels les accents d’Écosse, Australie, Texas, Londres et encore selon les quartiers, etc.

 

Les années vécues en Amérique Latine m’ont aussi fait toucher du doigt, ou plutôt du tympan, la diversité des accents de la langue espagnole dans ce sous-continent : un accent par pays hispanophone. Une oreille à peine exercée identifiera clairement les particularités de prononciation en Argentine, au Chili, en Colombie, à Cuba, au Mexique, etc. Sans compter qu’à l’intérieur de chaque pays, on distingue aussi des accents régionaux, mais là il faut un peu plus d'entraînement pour les capter. Et puis surtout, le plus marrant est que grand nombre des Latino-Américains ont en commun de se moquer gentiment de l’accent des propres Espagnols, ceux de “la madre patria” ! Espagne où évidemment on retrouve aussi des accents régionaux !

 

Pour en revenir à la langue française, hors de nos frontières, on s’amusera aussi à écouter nos cousins canadiens, ou voisins suisses et belges, ou amis africains, avec leurs intonations spécifiques et vocabulaires imagés. Cependant, il m’est difficile parfois de déceler parmi mes amis francophones, quelques-uns originaires de Belgique, tant leur accent peut être globalement “neutre” ; j’ai ainsi appris à les identifier à leur façon de prononcer “ouite” le chiffre 8.

 

L’accent est évidemment un concept universel, mais ne véhicule pas nécessairement de connotations négatives. Néanmoins, et de façon universelle, il s’avère un marqueur social discriminatoire puissant, on le sait bien. À ce titre, avoir un accent “marqué” est en règle générale disqualifiant pour les postes de dirigeant. Aussi, oui, dans ce contexte, c’est une vraie belle affaire d’avoir ce Premier ministre "avec accent" ! 


 

Il est par ailleurs intéressant aussi de suivre les accents dans le temps. Je suis toujours amusé d’entendre à travers des archives sonores les artistes, journalistes et personnages politiques de la fin de la Troisième République et de la Quatrième République s’exprimer avec emphase et "r" roulés. Des intonations qu’on n’entend plus hormis à l’opéra. 

 

Les accents disparaissent comme ils naissent. Ainsi en va-t-il par exemple de l’accent “pied noir” qui sera apparu dans le creuset des civilisations et nationalités d’Afrique du Nord de la fin du XIX siècle et qui progressivement s’éteindra avec l’immersion des “rapatriés” dans la société métropolitaine, et la disparition des derniers d’entre eux. Il en va des accents comme des langues, les mortes et les vivantes.

 

 

Sachons donc valoriser les accents dans nos cultures, ne les moquons pas, ne leur associons pas des a priori banals, considérons-les comme des joyaux culturels, des caractères d’appartenance et d’identification, des sources d’énergie personnelle, de réconfort, de bien-être, de bien-vivre.

 


 

Le plus bel hommage que j’ai pu entendre à son sujet est le poème “L’accent” de Miguel Zamacoïs que je vous invite à écouter ou re-écouter ci-après. Je l’ai découvert, il y a longtemps, grâce à Mamie Blanche qui le déclamait lors de réunions de famille, du côté de Toulon, avec son accent provençal, tout en douceur, humilité, authenticité, sincérité. Je n’ai jamais plus ressenti la même profondeur et chaleur du message. Odette, peut-être, s’en rapproche un peu. 


 

Jean-Michel Cabanes

Tag(s) : #patrimoine, #Histoire
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