On ne s’attardera donc pas sur l’année 2020. Beaucoup aura été dit à son encontre, en particulier en matière sociologique. Quel sera l’impact de cette crise sur notre mode de vie futur ? Le “monde d’après” sera-t-il si en rupture qu’on pouvait le rêver au plus profond de notre premier confinement ? etc.
Dans ce contexte, la convergence de fond telle que je perçois dans certaines campagnes publicitaires pendant cette crise peut être instructive.
Écoutons de nouveau par exemple les thèmes musicaux retenus pour les campagnes de communication ci-après (cliquer sur les liens) en 2020 :
- promotion de la réouverture des salles de cinéma, sur fond de “je reviens te chercher”
- soutien au redémarrage de l’activité, sur fond de “for me, formidable”
- pack Orange, sur fond de “oh la belle vie !”
Trois standards de la chanson française respectivement interprétés par Gilbert Bécaud, Charles Aznavour et Sacha Distel, qui nous renvoient au milieu des années ‘60. Serait-ce une pure coïncidence ? Ou serait-ce plutôt que, dans l’inconscient collectif, on associe cette période-ci à une époque dorée, de prospérité et de douceur de vie, de réconfort ?
Les temps de crise nous renvoient-ils à la mélancolie ? Cette crise sanitaire, ses divers confinements, et leurs sorties secouées, ce sentiment de jour sans fin, des perspectives économiques peu enthousiasmantes, etc. nous plongent-ils insidieusement dans un état collectif chagrin ? De façon générale, cette situation rejoindrait-elle au plan individuel cette sensation de nostalgie provoquée en général par une odeur, un lieu ou une mélodie, cette madeleine de Proust qui nous replonge dans le bien-être, souvent magnifié, des temps anciens.
Mais il faut bien en cerner les limites car la nostalgie peut être mauvaise conseillère dit-on, ou à tout le moins nous engourdir.
Alors, les années ‘60 une époque dorée ?
Dans les campagnes, l’effort de reconstruction et modernisation post-guerre était loin d’être abouti ! L’eau courante, par exemple, n’arrivait pas partout, et quand elle arrivait les coupures d’eau étaient, elles, courantes ... En termes de moyens de communication, la télévision et le téléphone étaient balbutiants. Mais surtout comment imaginer aujourd´hui, par exemple, que les femmes avaient besoin de l’autorisation de leurs époux pour travailler ou posséder un chéquier au début de ces années ’60 ??? Il a fallu aussi attendre le mouvement de Mai 68 pour dépoussiérer avec un grand balai les relations sociales dans le monde du travail, avec par exemple le libre exercice du droit syndical dans les entreprises. Aux États-Unis, une grande puissance qui se revendiquait déjà le berceau du monde libre et de la démocratie, les Noirs Américains se battaient pour ne plus devoir s’asseoir au fond des bus, pouvoir aller à l’université de tous, se battre de façon générale contre la ségrégation raciale et pour leurs droits civiques.
Dans mon village nombre d’adolescents, fils d’agriculteurs, n’avaient pas encore vu la mer de près, pourtant seulement à une heure de voiture. Les distractions sportives étaient réduites, soit foot-ball soit rugby. L’été, pour plonger dans une piscine il fallait d’abord faire une quinzaine de kilomètres, bien souvent à vélo pour la plupart d’entre nous. Et si le centre-bourg était animé avec ses nombreux commerces et son marché aux bestiaux périodique, c’est bien en grande partie parce que les moyens de locomotion étaient réduits et que les chaînes de grande distribution apparaissaient à peine avec leurs immenses choix de produits et palettes de prix défiant toute concurrence.
Ainsi pourrions-nous toujours regretter le “bon vieux temps”, quelle que soit sa référence personnelle, mais assumons qu’il n’était pas aussi doux qu’on veut bien se le figurer. De même, que les voies de développement qui ont été mises en œuvre depuis aient signifié un vrai progrès ? ... chacun en est juge. Pour autant, on ne peut ignorer que le monde bouge, et qu’il faille être réactif. Dans ce cadre, vouloir revenir en arrière n’aurait pas de sens. Néanmoins, aller de l’avant vers un monde plus en harmonie avec les valeurs de tout un chacun nécessite de s’impliquer et de savoir manifester ses opinions et volontés, tant au niveau local que plus global.
Alors, comme on l’entend un peu partout en cette saison de changement d’année, et comme le chantait avec tant de tendresse la regrettée Annie Cordy, "ça ira mieux demain" , ... oui mais à condition de se mobiliser pour les justes causes aux yeux de chacun, et de les revendiquer, comme nous le montre l’Histoire de l'humanité.
Jean-Michel Cabanes