Et si on se référait à la pyramide de Maslow pour tenter d’évaluer la qualité de vie au village ? Quand bien même ce n’est pas a priori sa finalité première, ce concept offre de fait ici une bonne structure d’analyse et un bon guide d’identification de voies de progrès pour un mieux-vivre au village. Laissons-nous tenter par l’exercice !
C’est au mitan du XX° siècle que A. Maslow, psychologue américain, élabore sa théorie sur la motivation fondée sur la hiérarchie des besoins. Ces travaux feront dès lors, et continuent à faire, référence dans le monde entier, en particulier dans le domaine du management en entreprise. C’est ainsi que le modèle propose une classification hiérarchique des besoins humains, dont il distingue cinq grandes catégories, le passage d’un niveau à l’autre ne pouvant s’effectuer que si le besoin du niveau inférieur est satisfait :
- niveau 1 (la base) / besoins physiologiques : boire, manger, dormir ;
- niveau 2 / besoins de sécurité : propriété, santé ;
- niveau 3 / besoins d’appartenance : amour, identité, famille, relationnel ;
- niveau 4 / besoins d’estime : reconnaissance par autrui, estime personnelle, valorisation de ses mérites ;
- niveau 5 (le sommet de la pyramide) / besoin d’accomplissement : moral, créativité, résolution des problèmes, sérénité.
La pyramide de Maslow pourrait ainsi aider à évaluer la satisfaction de tout un chacun, voire de groupes de population, vis-à-vis de l’organisation de la vie dans un village, tant au plan de ses acquis que de ses projets de développement, et qu’il s’agisse d'infrastructures comme de relations sociales. Je me suis lancé dans l’exercice en prenant comme support mon village, Arthez de Béarn avec ses 1900 âmes.
le village et les besoins physiologiques
Des vrais sujets du ressort d’une municipalité, en y regardant bien.
manger ?
Comment imaginer encore que les cantines d’établissements scolaires implantés sur une commune rurale ne soient pas aujourd’hui fournies en produits issus de l'agriculture raisonnée de proximité ? Cela paraît relever du bon sens (lire ma tribune "éduquons nos enfants à croquer la nature"). C’était bien d’ailleurs un des projets-phare de l’équipe municipale qui a été élue, mais à vrai dire, sept mois sont passés et je n’ai pas toujours vu la moindre information à ce sujet…
Par ailleurs, il faut aussi se réjouir des facilités de portage des repas à domicile pour les personnes âgées, en ne doutant pas d’une même qualité “agriculture raisonnée de proximité” des produits.
respirer ?
Située à proximité du bassin de Lacq et de son gisement de gaz naturel découvert dans les années ‘50, la commune a dû pâtir pendant des décennies des odeurs et émanations de gaz à composés de soufre. Or, selon un récent reportage de France 3 "gaz de Lacq, le goût du soufre", il semble bien que les autorités locales avaient été informées dès le début du développement de ce gisement de ses effets néfastes pour la santé des riverains, mais étaient restées passives. Une attitude inexcusable, et qui ne peut plus se concevoir dorénavant. On pointe bien ainsi l’entière responsabilité morale, et probablement juridique, d’une équipe municipale dans la préservation de la qualité de l’air dans l’espace communal.
dormir ?
De plus en plus de voix s’élèvent pour des pratiques d'éclairage nocturne dans les villages plus rationnelles, au motif que celui-ci porte atteinte à la biodiversité tout comme à la santé des habitants. Un jour viendra (lire ma tribune "au clair de la lune") ...
le village et le besoin de sécurité
À l’évidence, le village doit assumer un rôle central en la matière.
santé ?
Réjouissons-nous de l’amplitude des services de santé au village : médecins, infirmiers, pharmacie, soins à domicile, etc. De même, il faut souligner la diversité des équipements sportifs et clubs pour la pratique d’activités physiques ; l’entretien de ces installations demeure néanmoins un enjeu financier pour la collectivité.
sécurité affective et sociale ?
Les structures comme notre Ehpad et le CCAS répondent indiscutablement à ce besoin, et avec beaucoup de talent. Le défi est dorénavant de savoir les faire évoluer en fonction de la demande et de l’exigence croissante de qualité.
sécurité physique ?
Le dynamisme de notre caserne de sapeurs-pompiers est assurément source de réconfort pour nous tous au village.
De même, la présence d’une gendarmerie dans le village alimente un sentiment de sécurité ; toutefois à y regarder de plus près, depuis quelques décennies (et une réforme de service public de plus ...) elle n’est plus cette gendarmerie avec accueil physique 7/7 et 24/24 que j’ai pu connaître.
La sécurité routière au centre bourg est aussi une attente vitale des habitants, pour laquelle les élus doivent assumer leurs responsabilités, les risques étant largement connus de tous (lire ma tribune "chi va piano, va sano... ")..
Ces derniers mois, des chiens errants ont semé une certaine terreur dans le village attaquant, voire éventrant, une trentaine de brebis. Que n’aurait-on pas attendu plus de réactivité et efficacité de la part des autorités communales ?
Autant de sujets qui illustrent les besoins en matière de sécurité physique à la dimension du village.
sécurité morale et psychologique ?
On ne peut pas passer sous silence le manque persistant de civisme sous diverses formes (lire ma tribune "au p'tit village, l'incivilité qui rampe"), situation qui altère le besoin de sérénité au village. Là aussi, davantage de détermination est attendu des autorités municipales pour résoudre ce type de déviances.
le village et le besoin d’appartenance
En s’élevant dans la hiérarchie des besoins de l’être humain, les niveaux des attentes deviennent davantage “immatériels”, à la différence des deux niveaux précédents (besoins physiologiques, besoins de sécurité). Et en conséquence plus subtils.
Il en va ainsi du besoin d’appartenance qui passe, à l’échelle d’un village, par un besoin d’identité et de fierté collective. Un marqueur commun fort dans lequel les habitants puissent se reconnaître, qu’ils habitent par exemple route de Gouze, place du Palais, route des Téoulières, chemin du Haü de Barrou, à Puyet, au Cagnès ou à la Pountelette.
À ce jour, je ne vois pas vraiment de tel marqueur commun. Et c'est bien regrettable. Une réflexion de fond est vraiment nécessaire.
En me replongeant dans le passé pas si lointain de notre cité, j’ai quand même le sentiment que le charme de notre centre-bourg d’alors, ou le grand chantier de restauration de la chapelle de Caubin, voire l’organisation des festivals folkloriques internationaux relevaient avec succès de cette catégorie identitaire et de fierté commune. Bien sûr, il ne s'agit pas ici de nostalgie passéiste, mais plutôt d’incitation à l’initiative et de catalyseur pour faire émerger des projets ambitieux (lire par exemple ma tribune "mon village drive-in").
le village et le besoin d’estime
Le besoin d’estime prolonge, selon le concept de la pyramide de Maslow, le besoin d’appartenance : l’individu souhaite être reconnu en tant qu’entité propre au sein des groupes auxquels il appartient. Ceci dit, dans la mesure où il me semble que ce besoin d’appartenance n’est pas satisfait, il ne peut en être autrement du besoin d’estime...
C'est même encore plus inquiétant, à mes yeux. En se refusant à transmettre des informations de qualité au fil de l’eau, notamment sur l’évolution des dossiers structurants (et qui ont d’ailleurs été au centre des programmes pendant la campagne électorale récente), les responsables municipaux dénigrent de facto leurs administrés. Une attitude d’autant plus agressive que les outils de communication (1) sont simples de mise en œuvre, (2) ne génèrent pas de coûts particuliers, (3) correspondent aux usages de communication de notre époque, et (4) facilitent le dialogue ouvert et les interactions en toute transparence. Le succès légitime du blog d’un particulier sur la vie au village est une des preuves les plus manifestes de l’appétence d’une communauté de notre taille pour ce type de média de qualité. (lire ma tribune "ce siècle a déjà vingt ans").
le village et le besoin d’accomplissement
Le besoin de s’accomplir est le sommet des aspirations humaines. Il vise à sortir d’une condition purement matérielle pour atteindre l’épanouissement. C’est également le besoin de participer, fût-ce modestement, à l'amélioration du monde.
Je ne vois pas aujourd’hui de telles dispositions dans la gestion du village. Or, à bien y réfléchir, les sujets ne manquent pas (lire par exemple mes tribunes "pour un village qui fasse école", et "urgence climatique ? ... au village ???"). Ils peuvent aisément fédérer la population d’un village, pour autant que la municipalité sache s'en emparer, leur donner localement du sens et de la visibilité, les promouvoir.
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Voilà donc pour une première approche très rapide de l’intérêt de la pyramide de Maslow à la maille d’un village comme le mien. L’exercice m’a paru intéressant, voire divertissant et surtout utile. Utile par les reliefs qu’il permet de poser dans l’analyse des modes de gouvernance des responsables municipaux. Mais aussi dans l’analyse de la profondeur (ou pas) de préoccupation des équipes municipales, et l’importance (ou pas) qu’elles accordent, à satisfaire les différents niveaux de besoins de leurs administrés.
Voir une collectivité, non pas comme une “maison du mercredi” à grande échelle, mais comme un support de réalisation, d’accomplissement personnel de ses administrés peut et devrait conduire à de profondes remises en cause dans la manière de penser et agir des élus en responsabilité. Les clés d’un tel changement : mettre ses sens en éveil, vouloir et savoir communiquer, être créatif, oser avoir de l’ambition et savoir décider.
Extrapoler la pyramide de Maslow à l’analyse de la qualité de vie au sein d’un village me semble donc faire tout à fait sens. Même si les relations de pouvoir au sein d’une commune ne sont pas du même registre que dans une entreprise, en revanche les besoins de l’Homme peuvent tout aussi bien y trouver une source de satisfactions. La pyramide de Maslow, un outil fondamental pour aider les responsables de collectivités humaines (entreprises ou municipalités) à progresser dans leur leadership, pour autant qu'ils y soient sensibles.
Jean-Michel Cabanes