On peut considérer à juste titre la laïcité comme un des piliers fondamentaux de notre société. Notre pratique du principe de laïcité fait d’ailleurs probablement de la France un cas tout à fait particulier parmi les grandes démocraties.
Fier partisan de cette spécificité, il me paraît opportun de réfléchir, “ici et maintenant”, sur les exigences qui doivent accompagner ce principe à l’échelle d’un village comme le mien, Arthez de Béarn.
“ici et maintenant”
“Ici” parce que l’objet de ce blog est de s'intéresser à la vision du monde depuis une structure rurale de base, comme l’est mon village. Sachant au demeurant que tout, ou beaucoup, est déjà dit au niveau national par les divers professionnels du commentaire et de l’analyse politique.
“Maintenant” parce que, pré-campagne présidentielle oblige, certains (toujours les mêmes…) viennent (re-)mettre au cœur des débats les sujets d’identité culturelle, lesquels convoquent immanquablement la dimension religieuse. Á vrai dire, même si cette actualité-ci finit par me saouler grave (comme par exemple l’idée saugrenue d'imposer l’usage de prénoms "français" … histoire d’interdire notamment Mohamed, parmi d’autres, qui ne désigne jamais que le prophète de la religion musulmane, la deuxième religion en France en nombre de pratiquants), ma conscience de citoyen me conduit cependant à devoir réagir, à m’interroger en particulier sur mon environnement immédiat au quotidien, et à partager mes points de vue.
la laïcité au village : entre usages, bon sens, et égratignures inconscientes
Dans sa relation avec le fait religieux, la vie d’un village de campagne est rythmée par certains rites sur lesquels on ne pose plus de questions. Or, dans le contexte rappelé ci-avant, l’hygiène républicaine impose d’y réfléchir à deux fois, soit pour en conforter la pertinence, soit pour les remettre en cause. J’appuierai mes réflexions sur quelques situations récentes de notre quotidien au village.
refaire une beauté aux cimetières pour la fête de Toussaint : du bon sens
En règle générale, c'est à l’occasion de la Toussaint, fête religieuse s’il en est, que les municipalités accomplissent l’entretien annuel des cimetières. D’aucuns pourraient y voir une entorse à la nécessaire neutralité de la gestion communale. En fait, il n’en est rien. Les cimetières sont des espaces communaux où quiconque peut y trouver son repos éternel, quelles que soient ses croyances. Aussi, dans la mesure où ces espaces connaissent (encore) un pic de fréquentation de visiteurs en cette fête catholique, il est évidemment de bon sens de les montrer alors sous leur meilleur jour. En l'occurrence, félicitations aux services techniques de mon village pour la qualité remarquable de leurs travaux d’entretien !
la messe pour les fêtes du village : un usage de la communauté
Les fêtes des villages s’inscrivent dans la tradition des fêtes votives ou patronales, ces fêtes qui jadis, sur “nos territoires”, honoraient le saint titulaire de la paroisse ou un saint patron différent. Dans ce contexte, il n’y a pas lieu alors de s'étonner qu’une messe spécifique figure au programme des fêtes, habituellement le dimanche. Une messe de fait en l’honneur de l’ensemble de la population du village. On pourrait cependant s’interroger sur la prise en charge financière de cette messe-ci, tarifée comme il se doit comme toute autre messe de dimanche. À mon sens, et sans hésitations, la municipalité s´honorerait à payer ce service religieux, faute de quoi l’église deviendrait une sorte de mécène des fêtes du village. Situation inacceptable à tous égards, que l’église soit consentante ou pas (la municipalité laissant alors une sorte d’ardoise au curé…).
prise de parole du premier magistrat lors d’un office religieux : sur un fil ténu ...
Parmi les orientations arrêtées par l’Association des maires de France, il est précisé en particulier que “la participation à des cérémonies religieuses, en tant qu’élu, devra se faire dans le strict respect de la neutralité républicaine, c’est-à-dire sans manifestation de sa propre croyance ou non-croyance”.
À vrai dire, il me semblerait encore plus sain pour un élu de la République d'écarter toute idée de participer activement et formellement à une quelconque cérémonie religieuse. Ainsi la prise de parole de notre maire, lisant son texte mûrement préparé et inspiré, lors de l’office d’installation du nouveau curé de la paroisse le mois dernier, m'interpelle-t-elle. Quel regrettable mélange des genres ! Une égratignure à notre sacro-saint principe de laïcité. Il en aurait été autrement si, comme cela s’est vu dans le passé, le maire présent dans l’église en une telle circonstance, et sur invitation de l’évêque maître de la cérémonie, se serait contenté de formuler de façon spontanée quelques paroles délicates de bienvenue, par respect pour l’institution mais avec distance.
les relations avec les représentants de l’Église : savoir être dans la juste mesure
Le départ, cet été, de l’abbé Armand qui officia pendant huit ans dans la paroisse, a marqué notre collectivité. Assurément un “type bien” (cf. ma tribune Adishatz l'Abbé).
Fallait-il cependant lui remettre la médaille communale comme l’a fait cette municipalité ? Même si je reste curieux de connaître les critères d’attribution et la liste des précédents récipiendaires, la distinction me paraît largement excessive.
Fallait-il l'honorer d’une cérémonie d’adieu ? Oui, certainement, pour la figure distinguée et appréciée qu’il a été dans les dix-sept communes de la paroisse. Et effectivement, d’une cérémonie dans l’enceinte de la mairie. Mais pourquoi avoir restreint une telle cérémonie aux élus, et ne pas l’avoir ouverte à la population ? Donnant ainsi un sentiment d’événement en catimini, bien contraire à l’esprit d’ouverture et de partage du prêtre honoré. Et surtout contraire aux valeurs de transparence consubstantielles à la laïcité. Un non-sens absolu ! Et qu’on ne vienne pas invoquer les contraintes sanitaires, alors même que, à peine quelques jours plus tard, une cérémonie équivalente était organisée par la communauté paroissiale ouverte à tous, maire y compris ...
la laïcité, un principe formidable pour vivre en paix
Il faut quand même le souligner, la laïcité n'est pas a priori aujourd’hui un sujet de préoccupation majeure au village. Pour autant, face aux discours haineux et tendances irrationnelles qui s’expriment chaque jour davantage au plan national, l’affirmation sans ambiguïté du principe de laïcité dans les différents niveaux de notre société contribuera au mieux-vivre ensemble, quelles que soient les convictions religieuses de chacun. L’échelon de base de notre organisation, la commune, est aussi pleinement concerné. Ses élus ont à ce titre une exigence de discernement fondamentale.
Jean-Michel Cabanes