C’est une évidence, la culture ne figure pas à l’agenda de cette campagne présidentielle. Autant dire que pour la diffusion et l’accès à la culture en milieu rural, mieux vaut ne rien attendre du pouvoir central ? Doit-on vraiment s’en lamenter ? Sur qui compter alors ? Sur le pouvoir de proximité ? Sur personne ?
une campagne sans culture
Si la culture est absente de la scène principale des échanges, elle apparaît probablement quelque part dans les programmes détaillés et exhaustifs que personne ne lit. Pour ce qui est des professions de foi des candidats, qui concentrent les points majeurs de leurs programmes, leur lecture est tout à fait éclairante … sur les douze candidats, trois seulement témoignent de leur intérêt et y affichent leurs ambitions :
- “Je rendrai enfin à la culture et aux artistes, qui nous éclairent, la priorité que la gauche leur a toujours donnée“ (Anne Hidalgo).
- “Une France moins soumise à l’argent et davantage gourmande d’art et de culture” (Jean-Luc Mélenchon).
- “Ma France de la culture / Création d’un grand ministère de la Culture doté d’un budget égal à 1% du PIB” (Fabien Roussel).
Pour être complet, Nicolas Dupont-Aignan aborde aussi d’une certaine manière le thème dans sa profession de foi, à travers une proposition qui en l’état ne résisterait pas, selon moi, à l’examen du droit du fait de son caractère discriminatoire : “Gratuité des musées et monuments historiques pour les Français le dimanche”.
Pour le reste des candidats, il faut pouvoir saisir quelque opportunité pour en savoir plus sur leurs propositions en la matière. J’en ai pu apprendre ainsi davantage sur les propositions de Valérie Pécresse, via l'émission Quotidien sur TMC qui lui a consacré un reportage que je vous invite à découvrir en cliquant sur ce lien.
Qu'on est loin des années 1960 quand Charles de Gaulle choisissait de mettre son ministre des affaires culturelles, André Malraux, au premier rang dans l'ordre des ministères, et des années 1980 quand François Mitterrand avec son ministre de la culture, Jack Lang, révolutionnaient la culture !
du verbiage institutionnel
On pourrait se consoler du manque de considération des candidats pour la culture, à quelques exceptions près, en comptant sur les dispositifs déjà en place au plan institutionnel. Ne serait-ce qu’en matière de “culture et ruralité”, par exemple, mes recherches sur internet révèlent une quantité significative d’acteurs et de littérature, ce qui aurait pu me rassurer.
Parmi les points remarquables : un arrêté de 2002 portant création du conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel placé auprès du ministre chargé de la culture, remplacé en 2019 par le conseil des territoires pour la culture afin de “faciliter les échanges entre le ministère de la culture et les associations d’élus”, une fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture, un european network for rural development, etc., des congrès, des séminaires, des webinaires, des guides méthodologiques, etc. Incontestablement les simples réflexions sur le sujet font déjà vivre du monde ! Y compris forcément les cabinets conseils ! Un œil averti pourrait par exemple reconnaître leur patte dans des présentations comme celle qu’on peut apprécier sur le site du ministère de la culture traitant de l’action culturelle territoriale.
Tout est dit. Tous les beaux esprits, les belles langues et les belles plumes se sont emparés du sujet, et en vivent … et pourtant force est de constater que, à l’autre bout de la chaîne, la ruralité reste en manque d’actions concrètes.
les pouvoirs de proximité en bout de ligne
Serait-ce que le dernier maillon, le local, c'est-à-dire la commune, la communauté de communes, et autres conseillers divers dits élus de terrain, remplissent imparfaitement leurs rôles dans ce domaine ? Généraliser serait bien sûr excessif, d’autant que le périmètre du culturel resterait encore à convenir.
À l’échelle de mon village, Arthez de Béarn, et pour autant qu’on écarte de l’analyse les animations de marché et autres défilés traditionnels d'enfants que d’aucuns pourraient qualifier de culture populaire … les élus manquent notoirement d’ambition.
Certes, reporter l’initiative et le pilotage de programmes culturels sur la communauté de communes peut satisfaire a minima leur bonne conscience. Il est vrai que l’organisation efficace de certains programmes ne peut relever de toutes façons que d’une maille élargie. Ainsi peut-il en être, par exemple, des concerts en la chapelle de Caubin. Résonnent encore dans ma mémoire l’ensemble Musikantrion ou le Borsarello Violas Quartet qui nous avait envoûtés dans le vaisseau de la chapelle par de douces soirées d'été.
Au-delà d’appuyer financièrement et logistiquement quelques initiatives locales, on pourrait toutefois attendre d’une municipalité qu’elle fasse preuve de leadership en matière culturelle, pour susciter, faciliter, encourager les projets culturels. C’est d’ailleurs ce dont l’on se réjouit dans différents villages, de toutes tailles. Il suffirait de s’en inspirer.
On peut de fait regretter que, dans le contexte du projet Fénics, n'ait émergé un lieu de vie collective en centre-bourg sur le concept d’une maison de la culture. Un lieu d’animation brassant toutes les générations ouvrant délibérément sur la culture, sans grand “K” idéologique mais avec un petit “c” humble et déterminé. Une institution née au siècle dernier qui fait encore référence, et dont il resterait à définir son positionnement à notre échelle, avec toute la modernité et le bon sens villageois qui s’imposent.
des initiatives qui se distinguent
La réalité de mon village est que les initiatives de particuliers qui se concrétisent ne sont pas forcément nombreuses mais puissantes, aidées ou pas par la municipalité.
Deux d’entre elles contribuent aujourd’hui à l'épanouissement des villageois et de bien d'autres, tout comme au rayonnement de notre collectivité.
La troupe de théâtre, la Scène arthézienne, connaît un succès manifeste au sein du village et bien au-delà. C’est une vraie institution ! Son origine remonte aux années 1940/1950, sous l’impulsion de l’abbé de la paroisse, puis de Pierre Maison, médecin et futur maire, puis de bien d’autres jusqu’à aujourd’hui, comme l’explique le site de la troupe. La diversité des programmes, associée à l’enthousiasme et l’exigence de qualité de la troupe, permettent de faire apprécier un bel éventail d'œuvres de théâtre de tout genre, pour le plus grand bonheur des villageois.
Un autre monument local de la culture, quand bien même tous n'en prennent pas suffisamment conscience au village, est ce bizarroïde Pingouin alternatif qui est apparu au mitan des années 2010 au cœur du village, à l’occasion de la reprise d’un établissement de référence pour sa popularité. Autoproclamé fort à propos “bar-café culturel”, le Pingouin alternatif est un “bar de campagne avec une programmation musicale improbable et des conférences d’éditorialistes de renom”. Mathieu Turon, son propriétaire, un amateur invétéré de musique indé rock et alternative, mais aussi un curieux apparemment insatiable des vecteurs d’évolution de la société. Avec un courage remarquable, une vive détermination et une folle passion, il organise ainsi des concerts et des conférences comme le font les grands au niveau national. On peut même s’étonner, en même temps que s’en réjouir, de sa capacité à faire venir ici de si grandes pointures ! Il suffit de regarder sa page facebook pour s’en convaincre. La presse, comme cet article de ¨l’oreille à l’envers”, rend régulièrement hommage à son esprit d’entreprise. Et pourtant … et pourtant il ne perçoit aucune aide privée ni aide publique pour financer son action culturelle. On peut en être surpris, je crois même qu’on doit. Pas à court d’idée, Mathieu Turon a alors créé une association, “le C.A.C 64 (Cabinet des affaires culturelles 64) qui est un pied de nez au CAC 40” à but non lucratif, à laquelle tout un chacun peut verser un don.
un drôle de zèbre
Selon un proverbe africain, “un homme sans culture est comme un zèbre sans rayures” … il en va de même pour la vie d’un village. Agir pour faciliter l'émergence de projets culturels, et leur pérennité, revêt un caractère fondamental dans le bon pilotage des affaires communales. Que nos divers élus locaux assurent un lien avec les divers processus nationaux conçus pour arriver jusqu’à nous, ou qu’ils fassent preuve de créativité, l’essentiel serait que nous sentions au village le souffle vivifiant de la culture.
Jean-Michel Cabanes