“La musique est dans tout. Un hymne sort du monde” écrivait Victor Hugo … même dans les campagnes électorales pourrait-on dire. Signe de ralliement, d'appartenance, de communion d’idées, d’enthousiasme, l’hymne ne relève pas cependant d’un choix exclusif. C’est ainsi que, dans les meetings électoraux, des candidats peuvent tout naturellement entonner successivement Se canti, la Marseillaise ou l’Internationale. Par contre, l'Ode à la joie, l’hymne de l’Europe, se fait plutôt discret. "Étonnant, non ?”
Dans un village comme le mien, Arthez de Béarn, qui s'étale le long d’une colline face à la chaîne imposante des Pyrénées, apprendre ce refrain de tout petit fait d’autant plus sens que ce panorama majestueux accompagne immanquablement notre vie quotidienne.
Cette barrière naturelle qui nous bouche l’horizon au sud empêchait déjà Gaston Fébus, notre grand prince pyrénéen et aussi poète du XIV° siècle, de voir sa bien-aimée qui s'était réfugiée en Navarre. C'est donc lui, selon la légende qui écrivit cette ode. Selon certaine autre légende, son épouse aurait rejoint sa terre natale, lassée de ses diverses infidélités ... en terre de cancel culture, il n’en faudrait pas davantage pour censurer cette chanson, comme on déboulonne des statues !
Mais aujourd'hui cette ode est devenue un hymne, un chant pour revendiquer son appartenance à l'Occitanie, son attachement à la langue occitane. Sur un plan plus politique, on pourrait même y voir le marqueur d'un régionalisme affirmé. Ce serait là le sens des prises de paroles (… ou plutôt de paroles et musique) de Jean Lassalle, notre "prince pyrénéen" et conteur du XXI° siècle, que ce soit à l'Assemblée nationale ou devant des sympathisants corses, entre autres.
À ses origines chant de guerre, notre hymne national est surtout entonné de nos jours, en sus des cérémonies officielles, avant ou pendant les grands événements sportifs impliquant nos équipes nationales. On ne s’en plaindra pas !
D’aucuns regrettent la cruauté de ses paroles, leur caractère guerrier voire raciste, mais c’est méconnaître le texte originel. En effet, comme l’a finement analysé le sociologue Edgar Morin dans une tribune du Monde, il s’agit surtout d’un chant de résistance porteur de valeurs universalistes. Parmi les quinze couplets du texte originel, le couplet XI illustre d'ailleurs à merveille cette dimension :
Couplet XI
La France que l'Europe admire
A reconquis la liberté
Et chaque citoyen respire
Sous les lois de l'Égalité ; (bis)
Un jour son image chérie
S'étendra sur tout l'univers.
Peuples, vous briserez vos fers
Et vous aurez une Patrie !
Et le dernier couplet d’ouvrir sur un avenir apaisé, une fois la “mission accomplie” :
Couplet XV
Enfants, que l'Honneur, la Patrie
Fassent l'objet de tous nos vœux !
Ayons toujours l'âme nourrie
Des feux qu'ils inspirent tous deux. (bis)
Soyons unis ! Tout est possible ;
Nos vils ennemis tomberont,
Alors les Français cesseront
De chanter ce refrain terrible.
Symbole de la Révolution française et du combat contre les tyrans et pour la liberté, ce chant sera repris au cours de l'Histoire sur différents continents par de nombreux révolutionnaires. Après la révolution d'Octobre, par exemple, les bolcheviks l'adopteront pour hymne en 1917, avant de reprendre un autre chant révolutionnaire français : l'Internationale. De même, Mao la fera chanter lors de la Longue marche en 1935 et elle sera enseignée dans les écoles chinoises jusque dans les années 1970.
Quand, à la clôture de la plupart de nos meetings politiques, la Marseillaise est reprise en chœur par l’assemblée, ce n’est plus cependant pour son caractère activiste, mais pour la force identitaire qu’elle dégage.
D’une même essence révolutionnaire, l’Internationale remplace progressivement la Marseillaise chez les révolutionnaires socialistes parce que, devenue l'hymne national français, elle est dorénavant associée au pouvoir étatique de la France. Encore trop souvent associée aux mouvements anarchistes, on en oublie parfois la portée de son message de base, et le poignant des paroles qui sont habituellement reprises en chœur. Ainsi son premier couplet et le refrain, qui servent d’étendard, ne constituent-ils pas à eux seuls une légitime revendication face à l’injustice sociale, aux menaces envers la démocratie, et au racisme hélas toujours d’actualité ?
Couplet 1
Debout ! l'âme du prolétaire
Travailleurs, groupons-nous enfin.
Debout ! les damnés de la terre !
Debout ! les forçats de la faim !
Pour vaincre la misère et l'ombre
Foule esclave, debout ! debout !
C'est nous le droit, c'est nous le nombre.
Nous qui n'étions rien, soyons tout.
Refrain
C’est la lutte finale
Groupons-nous et demain
L’Internationale
Sera le genre humain.
Pour mieux comprendre le sens des autres couplets, il faut les contextualiser dans le mouvement insurrectionnel de la Commune de Paris pendant lequel ce chant fut écrit en 1871.
Personnellement, l’Internationale évoque en moi un de mes plus forts souvenirs d’adolescent (cf. ma tribune soleil d'enfer), un de ces moments fondateurs qui ont participé à construire l’homme que je suis, à ancrer les valeurs d’humanisme qui m’animent, bien loin de toute idéologie anarchiste.
Traduite dans de très nombreuses langues, l'Internationale est de fait le chant symbole des luttes sociales à travers le monde, souvent reprise dans des manifestations populaires.
Hymne officiel de l'Union européenne, l’Ode à la joie, extrait du prélude de la 9° symphonie de Beethoven, est un hymne sans paroles visant à évoquer, ”grâce au langage universel de la musique, les idéaux de liberté, de paix et de solidarité incarnés par l'Europe”. Généreuse ambition qui pourtant semble avoir du mal à prendre corps. À tout le moins, la magie incontestable de la musique ne suffit manifestement pas pour envoûter les Européens autour d’une identité forte et partagée.
Difficile de bâtir un tel sentiment d'appartenance, en l'occurrence, quand l’enseignement de notre Histoire est si divergent à travers l’espace européen, voire même à l’intérieur de chaque pays selon le régime en place. Alain Lamassoure, président de l’Observatoire de l’enseignement de l’histoire de l’Europe créé en 2020 au sein du Conseil de l’Europe, qualifiait récemment l’enseignement de l’histoire en Europe de “champ de ruines”.
On ne s'étonnera pas donc, même si on peut le regretter, que l’Ode à la joie ne fasse pas florès dans nos meetings politiques.
tout finit par des chansons
Beaumarchais termine le Mariage de Figaro par ce couplet :
"Or, Messieurs la comédie
Que l’on juge en cet instant,
Sauf erreur, nous peint la vie
Du bon peuple qui l’entend.
Qu’on l’opprime, il peste, il crie,
Il s’agite en cent façons,
Tout finit par des chansons..."
Sachons donc retrouver et apprécier le sens de ces hymnes qui viennent clore nos manifestations publiques. Laissons nos cœurs vibrer au son des sentiments et revendications qu’ils véhiculent. N’hésitons pas à les entonner, l’un ou l’autre ou les trois. C’est dans cette dernière option que je retrouverais avec plaisir un cumul cohérent de mes aspirations pour notre société.
Jean-Michel Cabanes