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64. Les Formalagues, une famille arthézienne aujourd’hui disparue (3 / 3)

Les Formalagues, une famille arthézienne aujourd’hui disparue (3 / 3)

- Pierre (1747-1820), le “mystérieux” Formalagues -

Le fils naturel de Jean-Pierre va se charger d’ajouter un chapitre à la saga familiale. On trouve sa trace sous la plume de cinq historiens de renom, et surtout dans les Mémoires d’un personnage illustre, Jacques Laffitte, fameux banquier et président du Conseil des ministres du roi Louis-Philippe. Il a aussi inspiré Bernard de Lestapis, de la branche de Mont, qui lui a consacré un “tapuscrit” d’une vingtaine de pages serrées, rédigé depuis Casablanca en 1946. Puis un article du Bulletin du Centre généalogique du Pays basque et Bas-Adour en 1991. Des mentions aussi, la dernière en 2012, dans des publications consacrées à la généalogie et l’histoire de la Caraïbe nouvelle. Ce qui suit est un résumé à date de toutes ces sources.

Pierre de Formalagues II naît en 1747 à Saint-Domingue, au Dondon, précisément là où son oncle Jean aura plus tard une habitation. Sa mère est une servante de son père, métisse. Le jeune Formalagues effectue son apprentissage à Bayonne chez son parent Forcade. Il y est “commis-négociant” en 1764. Vers 1780, c’est déjà un négociant installé, mentionné aussi comme interprète de langue hollandaise. Un recensement de la même époque le dit résidant “avec un commis, une cuisinière et une servante”, ce qui traduit une certaine aisance pour un célibataire.

Dans ces années-là, avec un certain Wilhelmi, originaire de Brême, il rachète la maison de négoce et d’armement Lichigaray, réputée sur la place. Timothée Lichigaray, d’Orthez, l’avait fondée en 1725, tandis que ses frères partaient pour l’Angleterre pour être ses correspondants. Timothée Lichigaray était une personnalité à Bayonne, il passe notamment pour le fondateur en 1745 de la première loge maçonnique de la ville, la Saint-Jean de l’Union cordiale. Sans en avoir la certitude, je pense que les Formalagues et les Lichigaray cousinaient. Pierre est par exemple l’exécuteur testamentaire de Timothée. Son nom est plusieurs fois cité dans les actes du procès en contestation d’héritage qui n’a pas tardé à être instruit. On a même parlé d’”affaire Lichigaray”.

Bref, Pierre de Formalagues se retrouve à la tête d’une maison vraisemblablement encore puissante. Auréolé qui plus est du titre assez ronflant de “vice-consul impérial” (d’Autriche-Hongrie). On le voit même correspondre avec son presque homologue Bethmann à Bordeaux. Assurances maritimes, contrats de prêts, courtage d’assurances, arbitrage de monnaies, contrebande de piastres, telles sont les activités classiques des négociants bayonnais de la fin du XVIIIe siècle. Formalagues, qui a des liens étroits avec la colonie de marchands français à Cadix, place en outre des capitaux dans des expéditions négrières à destination de l’Amérique espagnole. Opération typique, relevée par un archiviste : « Le Jason, négrier neuf de 280 tonneaux, capitaine Fabvre, armé par Veuve Delahaye Lebouis fils et Cie du Havre pour la côte d’Angole pour 480 noirs. L’armateur vend 1/16 à Formalagues & Wilhelmi de Bayonne sur le corps, quille et cargaison du navire, ladite entreprise formant le plus ou le moins 310 000 livres tournoi (lt). Le navire est estimé par les experts pour le deuxième voyage à 70 000 lt ».

En 1781 survient un événement qui aura de grosses répercussions dans sa vie : on lui envoie un jeune apprenti de quatorze ans, fils d’un modeste charpentier résidant à Mont, ce petit village béarnais dont les Lestapis sont originaires. Il a pour nom Jacques Laffitte, le futur “roi des banquiers et banquier des rois”, l’un des plus grands financiers du XIXe siècle. Dans ses Mémoires, Laffitte écrit ceci : « C’est à lui que je suis redevable de tout ce à quoi je suis parvenu ». Formalagues est en effet son pygmalion, le rouant de coups à l’occasion pour l’endurcir, l’initiant aux techniques d’arbitrage et le recommandant avant 1788 et un retournement de fortune à l’un de ses correspondants, le banquier parisien d’origine suisse Jean-Frédéric Perregaux, appelé à être un des acteurs des événements révolutionnaires et plus tard premier régent de la Banque de France. 

Le pauvre Formalagues, lui, n’en est pas là. Sa faillite est sévère (1784), couplée à la perte de ses avoirs à Saint-Domingue (1785), et il doit quitter Bayonne. A-t-il au moins pu bénéficier de l’appui des autres Formalagues installés un temps dans cette ville, propres frères de son père ? Rien ne permet de l’affirmer. Sa naissance bancale devait peut-être les indisposer… Jacques Laffitte, qui brille déjà chez Perregaux, lui tend heureusement la main et l’appelle en 1789 auprès de son nouveau maître. Ce dernier envisage de faire de Formalagues, qui loge chez lui, 26 rue du Sentier, Paris 2e, un associé à la place du sieur Gumpelzhaimer, décédé. Il l’expédie à Londres chez les banquiers écossais Boyd & Ker, qu’on va retrouver. De retour en France vers la mi-1790, et sans qu’on sache très bien pourquoi, Formalagues rompt avec Perregaux. Dans la foulée, en 1791, il publie chez Firmin-Didot un livre assez technique, Nouvelle méthode de calculer l’intérêt et l’escompte des lettres de change, au tirage sans doute confidentiel. C’est en tout cas l’œuvre d’un expert, un aboutissement. 

Démarre alors pour lui une seconde carrière, plus politique, plus trouble aussi. « Un personnage mystérieux que l’on voit tout à coup émerger de l’ombre », ainsi l’historien Lenôtre décrit-il notre lointain parent. « Un intrigant du nom de Formalagues », pour le conventionnel Thibaudeau. « Un certain Formalagues » selon Louis Blanc. Les portraits sont sommaires, peu flatteurs en général, mais ils convergent. Dans la grande tourmente révolutionnaire, entre 1793 et 1795, Pierre de Formalagues a un rôle d’agent de liaison. Il reçoit à sa table, jusqu’à deux fois par semaine, les puissants du jour, Tallien en tête. Il l’a peut-être connu par sa célèbre épouse, Theresia Cabarrus, d’une famille de négociants de Bayonne. Avec Tallien, il y a Lanjuinais, Boissy d’Anglas, Legendre, Thibaudeau, et parfois Fouché, Barras, le général Francisco de Miranda, le futur libertador du Venezuela. La plupart d’entre eux sont des conventionnels en vue, aux convictions ébranlées par la dictature de Robespierre. Ils conspirent plus ou moins ouvertement pour renverser le tyran. Certains, inféodés à l’Angleterre ou à l’Autriche, rêvent d’un retour à la monarchie, d’autres demeurent des républicains orthodoxes. Les dîners se déroulent 26 rue du Sentier, Paris 2e, à un troisième étage, dans un “logement modeste”. Les historiens de la Révolution racontent tous une de ces soirées orageuses au cours de laquelle Tallien claque la porte en traitant Formalagues d’”espion” et les autres commensaux de “conspirateurs”. Cet incident, dont les répercussions auraient pu être redoutables, va stopper net les velléités de Formalagues. 

On ignore d’ailleurs le profit qu’il pouvait trouver à rassembler autour de lui des gens aussi actifs, capables du jour au lendemain de détenir des pouvoirs d’exception et d’éradiquer leurs amis de la veille. Je suppose qu’il espérait y trouver des occasions de se refaire sur le plan financier. De fait, il est en lien avec l’établissement parisien de la banque Boyd & Ker, dont les révolutionnaires soupçonnent qu’elle finance les aristocrates émigrés et corrompt certains hommes politiques. En 1793, lorsque les associés annoncent la liquidation de leur banque, anticipant la confiscation de leurs avoirs par le gouvernement français, Formalagues est le fondé de pouvoir de Boyd. On pourrait ainsi le croire agent royaliste, à la solde du futur Louis XVIII. Mais en 1794, on le trouve membre de la section Brutus, comme “citoyen actif”. En avril de cette même année, il est un placide fonctionnaire au ministère, “chef d’une section divisionnaire de la commission de la marine et des colonies”. En 1795, le 7 juillet, le Comité de salut public le nomme agent de change. Il a même accès au marché public des approvisionnements en blé, et il spécule sans vergogne. Tout en tentant, à coup de suppliques, d’obtenir la réhabilitation des banquiers Boys & Ker, afin qu’ils soient rétablis dans leurs droits. 

Autant d’activités contradictoires, hautement suspectes en ces années de tourmente. Bernard de Lestapis se demande, et nous avec lui, comment Formalagues a pu garder la tête en place, quand tant d’autres, moins exposés parfois, ont eu la leur tranchée. Son hypothèse nous ramène à Bayonne, et aux Cabarrus, avec lesquels les Formalagues ont dû être en contact étroit. Pour notre oncle, c’est Theresia Cabarrus, Madame Tallien, alias Notre Dame de Thermidor, qui a protégé Pierre de Formalagues jusqu’à l’extinction des feux de la Révolution. Je souscris assez volontiers à cette idée. D’autant qu’un livre récent sur les milieux d’affaires français en Espagne raconte comment un de ces Cabarrus bayonnais, cherchant à faire revenir en Europe des masses d’énormes d’or et d’argent accumulées en Amérique espagnole, a tenté en 1798 d’intéresser Formalagues à ce trafic. Celui-ci est à l’époque toujours négociant et selon les Mémoires de Laffitte, il rêve toujours de combinaisons mirobolantes. Ironie de l’histoire, ce coup formidable sera réalisé en 1805 par l’entremise du fameux banquier Ouvrard, sous la direction de la maison hollandaise Hope & co, laquelle employa notamment… des Lestapis. Une autre hypothèse, lue (décembre 2016) sous la plume de l’historien Olivier Blanc, fait au contraire de Formalagues le protecteur attitré de Theresia Cabarrus, de Mme Charles de Lameth, sa compatriote basque, et de Nicole Vignier de Montreal, l’épouse de Boyd. Formalagues agit alors pour le compte de Tallien, et avec l’appui de la Banque Royale d’Espagne dirigée par Cabarrus père. Olivier Blanc réévalue par ailleurs à la hausse le rôle de notre parent dans le complot visant à s’assurer les faveurs de certains conventionnels en vue du 9 Thermidor.

La fin de notre héros est assez triste. Éloigné des affaires malgré lui, auteur isolé d’un article dans le Journal de Paris en 1800, il tente encore quelques opérations, sans doute fumeuses puisqu’il se déclare en faillite en 1804. La lecture des Mémoires de Laffitte laisse penser que ce dernier a recueilli chez lui son ancien mentor, jusqu’à sa mort le 26 avril 1820 à Paris 2e. Est-ce vraisemblable ? Le même Laffitte affirme en tout cas qu’il a fait célébrer ses obsèques par le pasteur Paul-Henri Marron, personnage de la Réforme. Il aura vu de près la prodigieuse ascension de son ancien apprenti à Bayonne : banquier omnipotent, régent puis gouverneur de la Banque de France, député, châtelain fastueux de Maisons, puis, après 1820, ministre et président du Conseil de Louis-Philippe, avec une fille devenue princesse de La Moskowa. Laffitte indique encore dans ses Mémoires que c’est Formalagues qui lui a trouvé sa femme, née Laeut, épousée en 1801. C’est dire l’intimité des deux compatriotes béarnais. L’un a connu la gloire, l’autre est resté dans une ombre épaisse, d’où il est malaisé de le tirer. 

En résumé, le dernier Formalagues officiel (Jean) est mort en 1805, la dernière en 1808, bien après leur sœur Marie-Judith (Lestapis), et le dernier Formalagues “officieux” en 1820, avec pour héritier universel un certain Pierre-Antoine Cailleaux, selon un relevé de La France généalogique (CEGF).


Hugues de Lestapis, lointain descendant Formalagues, à Lectoure (32), février 2023

 

arbre généalogique Formalagues / partie 1

arbre généalogique Formalagues / partie 2

Tag(s) : #Histoire, #culture, #culture de village, #patrimoine
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