Soixante ans que nous sommes arrivés de Mourenx ville nouvelle (cf. ma tribune Guerres, exodes et "métèques") à la cité Bourdalat qui venait de sortir de terre dans ce petit village où nous résidons toujours, Arthez de Béarn. C’est en effet au printemps 1963 que nous rejoignîmes les premières familles qui, depuis quelques mois, prenaient possession de leurs maisons. Aujourd’hui le temps est passé et nous voici les plus anciens occupants de la cité, surtout ma mère qui y réside sans discontinuité depuis 1963.
Avec ce recul du temps et tout mon chemin parcouru, tant en France qu’à l’étranger, mon regard sur la “cité Bourdalat”, même si bienveillant et empli de tendresse, s’intéresse à la dimension, ou plutôt aux dimensions patrimoniales de cet ensemble.
grandir avec la cité, un patrimoine humain
En 1963, j’avais quatre ans. Les travaux de la deuxième tranche du lotissement n'avaient pas encore débuté. Autant dire que j’ai grandi dans, et en même temps que la cité. Et je n’étais pas le seul dans ce cas ; cet univers grouillait d’enfants, je dirais deux à trois en moyenne par maison. Nous nous connaissions tous. Je repère d’ailleurs encore aujourd’hui chacune des maisons de la cité par le patronyme de ses premiers occupants.
Les rues de la cité servaient bien entendu d’aires de jeu, d’autant que le nombre de voitures était bien moindre qu’aujourd’hui. Les trottoirs vers chez moi nous servaient pour jouer à la pétanque. Bien sûr, le terrain au centre du lotissement, quand bien même pas encore bien nivelé, servait de “stade de foot”, une fois des buts matérialisés par des vêtements posés à terre. Les rencontres avec les autres enfants du village y étaient souvent empreints d’une certaine fierté à défendre nos couleurs…
Des années plus tard, vivant en région parisienne, nous amenions avec mon épouse systématiquement nos enfants passer une grande partie de leurs vacances ici, à la maison des grands-parents. À leur tour, ils découvrirent le bonheur de vivre et de jouer à la cité. C’est devenu en quelque sorte leur “château de ma mère”, et ils reviennent encore aujourd’hui, la trentaine passée, toujours avec autant de plaisir. Il me semble d’ailleurs que mon petit-fils, âgé de quatre ans, suit le même chemin.
un microcosme de tolérance, un patrimoine sociétal
Les hasards de l’Histoire ont voulu que notre cité principalement destinée aux familles de ressources moyennes, en particulier du monde ouvrier, fût construite au quartier Bourdalat, ce quartier “hors du bourg” à l’ouest du village, où pendant des siècles y furent cantonnés des
cagots. Alors même que ladite “cité des ingénieurs”, aux profils en général à cette époque plus conservateurs, était construite à l’est du village, contigu au bourg et au barycentre de l‘église et des trois chapelles du village. Un clin d'œil amusant de l’Histoire !
Mais, à y regarder de plus près, quelques ingénieurs, médecin, pharmacien et professeur, habitaient aussi à la cité Bourdalat des débuts. Notre microcosme s’enrichissait de cette diversité, et tous visaient au mieux vivre collectif. Rapidement, les propriétaires constituèrent ainsi une association loi 1901 : “l’association de défense des intérêts des candidats propriétaires et propriétaires de pavillons individuels du lotissement du Bourdalat”. C’est par ce biais qu’ils géraient collectivement leurs relations avec en particulier la Société béarnaise d’économie mixte pour l’habitat (le promoteur du projet immobilier, aujourd’hui devenu Pau Béarn habitat), la mairie ou le notaire. Au plan de l’aménagement par exemple, s’ils obtinrent ainsi plutôt rapidement la construction d’un abri bus pour le ramassage scolaire, le nivellement du terrain de jeux central attendit plusieurs années, et la mise en sécurité par clôture de ce même terrain plusieurs décennies…
Dans notre petite bulle de la cité Bourdalat, la vie s’organisait tout naturellement autour de valeurs simples comme le respect, la tolérance, l’optimisation des ressources ou le sens de l’initiative. L’époque, les années 60, s’y prêtait probablement bien aussi.
Je ne me souviens pas, par exemple, d’une quelconque observation de voisinage quand nos tourne-disques étaient réglés à leur volume maximal, et les fenêtres grandes ouvertes ; encore moins quand dans nos poulaillers les poules caquetaient et les coqs chantaient… personne n’aurait imaginé qu’un jour il allait falloir les déclarer en mairie, préalablement à leur acquisition. Je me souviens aussi de ce berger, Michel, qui au rythme des transhumances traversait la cité avec son troupeau qui laissait quelques déjections bien naturelles sur son passage, et sans que personne n’y trouve à redire (cf. ma tribune Moutons, le retour ?).
Au regard du grand nombre d’enfants de la cité qui fréquentaient les établissements scolaires du village, rapidement un ramassage scolaire fut instauré, avec un point de rassemblement au centre du lotissement... que ne l’imaginerait-on pas aujourd’hui, à l’heure où l’on cherche à réduire notre empreinte carbone par tout moyen… ! D’autres enfants se rendaient à l’école à vélo, comme mes frères et moi, matin, midi et fin d’après-midi ; avec l’accroissement des flux de circulation automobile, une telle solution paraîtrait de nos jours risquée, sauf à bien vouloir réfléchir à des adaptations des schémas de circulation.
De même, dans la mesure où beaucoup de parents travaillaient à la SNPA (Société nationale des pétroles d’Aquitaine) sur le bassin de Lacq, ceux-ci, y compris les personnes au régime posté 3X8, bénéficiaient d’un ramassage par car.
Sur un principe similaire à l’actuel “delivery”, mais en consommant au final beaucoup moins d’essence et de carton, deux camionettes-épicerie concurrentes proposaient leurs marchandises dans la cité, de mémoire hebdomadairement. De même les boulangeries, de façon quotidienne.
Dans la vie de la cité des débuts, deux initiatives particulièrement remarquables me reviennent en mémoire, et dont s’accommoderaient peu nos mentalités actuelles devenues moins tolérantes.
Au mois de mai, une fois par semaine, devant un petit autel improvisé au centre de la cité, à côté du transformateur EDF, le prêtre de la paroisse réunissait les fidèles pour célébrer le “mois de Marie” en chapelets de prières, et louanges à la Vierge.
Une année, et je ne sais pas qui dans la cité en fut à l’origine, une compétition de karting, me semble-t-il officielle, avait même été organisée pendant un week-end ! Longtemps d’ailleurs, pendant des années, la ligne blanche d’arrivée, au milieu de la côte, immortalisa cet événement aujourd’hui impensable dans la cité.
un ensemble remarquable, un patrimoine urbanistique
C’est en rangeant de vieux dossiers de mes parents que j’ai retrouvé les plans originaux de la maison. Sous le titre de “logement économique et familial”, un certain architecte Jean Ducoudré définissait en plans et coupes le modèle des maisons de la cité. L’implantation de son cabinet à Mont de Marsan (40) n’est peut-être pas étrangère à l’inspiration landaise de ce modèle, avec son toit à deux pans asymétriques.
Selon les critères de l’époque, ce type de maison était destiné à pouvoir accueillir facilement une famille de cinq à six personnes, les deux parents et trois ou quatre enfants, dans sa version F4. Dans certains cas, il en rentrait plus sans que quiconque n’en fût choqué. Par des circonstances particulières, par exemple, nous passâmes quelque temps à deux familles dans la maison, plus la grand-mère ! Aujourd’hui on dirait que ce type de maison de base conviendrait à merveille à un couple avec un enfant…
À ce stade des Trente Glorieuses, alors que l'eau courante n’arrivait pas encore dans toutes les maisons de la commune, les nôtres étaient équipées de toutes les commodités de base : eau courante, gaz de réseau, électricité, assainissement. Au fil du temps, et encore maintenant, ces maisons ont subi divers travaux d’aménagement ou extension au gré des propriétaires, sans pour autant altérer le cadre originel conçu par Jean Ducoudré. On y vit ainsi toujours aussi confortablement.
Il est par ailleurs remarquable de constater objectivement que cet ensemble urbanistique sexagénaire maintient toute sa cohérence, son homogénéité, et affiche une vraie élégance avec ses façades blanchâtres, ses toits rouges et ses menuiseries multicolores au milieu d’une verte campagne. Ce site naturel dit "Poeymirau", jusqu'à la construction du lotissement (ndlr. selon les actes d'acquisition de la maison), qui étymologiquement signifie point haut ("poey") d'où l'on a une belle vue ("mirau / mirail")... j'ai enfin compris le nom actuel d'une des rues de la cité (cf. ma tribune Oui aux noms des rues qui font mémoire) !
À vrai dire, je ne vois pas d’équivalent à cet ensemble, de cette taille et de cette nature, dans un très large périmètre à la ronde.
une identité revendiquée avec force, et un ensemble à protéger
Abstraction faite de mon attachement personnel, et pour avoir pas mal parcouru le monde, je trouve que notre lotissement mérite légitimement beaucoup plus de considération. Par ses diverses caractéristiques dont j’en ai rappelé quelques-unes ici, il recèle des éléments forts d’identité et d’intérêt. Il mériterait de mon point de vue une valorisation affirmée de son appellation formelle d'origine “cité Bourdalat”, par exemple à travers la signalétique ou sur le site internet de présentation du village et autres prospectus communaux. Or, j’ai le sentiment que le terme de “cité” en fait rougir certains aujourd’hui, bien à tort.
À tout le moins, il serait dommage qu’à moyen ou long terme, un tel patrimoine urbanistique ou son environnement subissent des évolutions non contrôlées qui viendraient le dénaturer. Des solutions sont probablement envisageables pour les préserver, en lien avec les autorités compétentes en matière d’architecture, urbanisme et environnement.
Jean-Michel Cabanes
nota
des vues récentes de la cité Bourdalat sont accessibles via les liens suivants sur lesquels il vous suffit de cliquer :
https://www.leuropevueduciel.com/consultation.php?site=10035
https://www.ectm.fr/photos-aeriennes/photo.php?photo=50468134