Dans ma tribune "Par nous ingénieur du Roy en chef ..." parue le 7 mai 2021 sur ce blog, je laissais parler mon enthousiasme à la découverte d’une carte de mon village, Arthez de Béarn, datant de 1783. Un patronyme, Formalagué ou Formalagués, attirait plus particulièrement mon attention, dans la mesure où il donnait son nom, “bois de Formalagué”, à la colline que nous nommons aujourd’hui “butte de Canarde”, et une maison était identifiée avec ce même patronyme au centre bourg, plus précisément rue de Bergoué de nos jours.
J’en appelais alors, comme on lance une bouteille à la mer, à ce qu’un sachant vienne partager son savoir sur cette famille arthézienne qui semblait avoir vécu des heures de gloire… et nous y voilà ! Un lointain descendant de ces Formalagues, Hugues de Lestapis, depuis Lectoure dans le Gers, a gentiment répondu à mon appel ! Je vous invite ainsi à lire le récit qu’il propose, sur la base des travaux de recherche de deux de ses grands-oncles et des siens propres. Une histoire que j’ai personnellement trouvée captivante, d’autant qu’elle trouve ses racines à Arthez, Castillon, Loubieng, Mont et qu’elle nous mène à Bayonne, Paris et même sur l'île de Saint-Domingue, tout comme elle nous plonge dans des pages marquantes de notre Histoire, telles la naissance du protestantisme, les guerres de Religion, la colonisation ou la Révolution française.
Par commodité de lecture, j’ai pris le parti de vous présenter ce récit de Hugues de Lestapis en trois épisodes que je publierai tour à tour ces prochains vendredis. De plus, pour mieux s’y retrouver, je joins, au bas de ces pages, les tableaux généalogiques établis par Hugues de Lestapis.
Bonne lecture, et encore merci à son auteur pour ce partage !
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les Formalagues, une famille arthézienne aujourd’hui disparue (1 / 3)
- une histoire indissociable de la question protestante -
Arnaud de Lestapis, dans son Un coin de Béarn autrefois (1981), a consacré de nombreuses pages aux Formalagues. Son intérêt pour cette famille éteinte depuis des lustres tient à la généalogie : en 1750, un Lestapis épousait une Formalagues, dont postérité jusqu’à nos jours.
Selon le livre précité, la famille Formalagues est originaire de Loubieng, près de Lagor. Au XVIe siècle, une branche vient s’installer à Castillon, près d’Arthez (*). Elle fait assez vite parler d’elle en embrassant avec ardeur la cause du protestantisme. En 1567, à la demande de Jeanne d’Albret, Bernard de Formalagues va prêcher la nouvelle doctrine à la grand-messe du dimanche de Laroin, près de Pau, ce qui provoque un début d’émeute ! Il passe d’ailleurs pour l’un des introducteurs de “l’hérésie” en Béarn et a de violents démêlés avec l’évêque de Lescar. En 1570, le culte catholique est totalement banni de la province… Tout au long des XVIe et XVIIe siècles, comme le signale La France protestante d’Eugène Haag, les Formalagues, répandus entre Arthez et Pau, donnent des pasteurs à l’Église réformée, mais aussi des notaires, des jurats. Le registre protestant d’Arthez, qui couvre les années 1603-1678, contient de nombreux actes les concernant (voir ci-dessous).
Extrait du registre protestant d’Arthez de Béarn, 1615
Les Formalagues s’allient avec des familles huguenotes en vue, nobles pour certaines, les Despoeys, les Brun, les Ribeaux, les Lacave, les Salettes, les Poeydarrer, eux-mêmes apparentés aux d’Audinot. La Révocation de l’Édit de Nantes, en 1685, porte un coup fatal à la poussée protestante en France. Les Formalagues ne quittent pas le pays. Commence alors pour eux une période difficile : ou bien entrer dans la clandestinité, et perdre au passage un état civil, des droits de sépulture, l’accès à certaines professions, ou continuer à vivre peu ou prou normalement en se ralliant à l’église de Rome.
Les Formalagues ont préféré abjurer. C’est le cas par exemple d’un Jean-Pierre de Formalagues, d’Arthez, qui apparaît le 30 novembre 1710 sur le registre catholique de Toulouse au chapitre des décès. Il n’avait que vingt-trois ans et était alors étudiant en droit. On trouve aussi des actes de baptême catholique d’enfants Formalagues au début du XVIIIe siècle. Mais ces conversions étaient-elles sincères ? On peut en douter. Une tradition familiale veut que l’aïeule des Lestapis ait été baptisée deux fois, une première fois dans la religion protestante avec le prénom de Judith et une seconde, postérieurement par le prieur des Augustins d’Arthez, avec le prénom de Marie. On trouve un acte datant de 1750, un peu avant son mariage, où l’ecclésiastique préposé au registre précise que Marie de Formalagues a bel et bien participé aux sacrements de l’Église catholique. Le 14 février 1751, comme le rapporte Arnaud de Lestapis, les vicaires généraux de l’évêque de Lescar ont jugé utile de “collationner” son acte de baptême catholique, comme pour en éprouver son authenticité. L’un de ses frères, en tout cas, ne l’appelait pas autrement que Judith quand il s’adressait à elle. Et on a de ce même Jean ce courrier assez explicite sur ses sentiments religieux : « Vous trouverez ci-joint la copie d’un article des dernières nouvelles du Bulletin concernant les protestants et qui ne pourra que vous faire plaisir. On y assure qu’il ne tardera pas à paraître des ouvrages sur notre religion par des personnes compétentes. On dit que Necker s’en occupe en son particulier », écrit-il en 1788. Cette lettre précède de peu de jours l’édit de Louis XVI en faveur des huguenots, un siècle après la Révocation.
La question protestante, on le voit, est indissociable de l’histoire des Formalagues. Lesquels vont bientôt tourner court, malgré des fils entreprenants à Bayonne et aux colonies. …. à suivre
Hugues de Lestapis, lointain descendant Formalagues, à Lectoure (32), février 2023
(*) Loubieng, Castillon, Arthez… mais aussi Oloron, où l’on trouve des Formalagues dans les registres entre 1685 et 1717, sans que je puisse savoir leur lien avec les nôtres. 1685 est l’année de la Révocation.
arbre généalogique Formalagues / partie 1
arbre généalogique Formalagues / partie 2