En cette année des 80 ans de la Libération, les commémorations abondent comme il se doit. Bien sûr les débarquements du 6 Juin en Normandie et du 15 Août en Provence, tout comme la Libération de Paris le 25 août, marquent des événements majeurs. Et bien sûr aussi, de multiples hommages sont dûment rendus aux maquisards et autres FFI.
En feuilletant le livre “Basses-Pyrénées, Occupation, Libération, 1940-1945” de Louis Poullenot, j’ai vite compris qu’il s’agissait là d’un, voire même DE l’ouvrage de référence pour connaître l’histoire de notre département pendant la II° Guerre mondiale, de façon détaillée et factuelle. Je m’y suis alors plongé avec immense intérêt pour retracer ici les faits marquants de cet été 1944 qui a vu la libération de notre territoire, et notamment ceux dans, et autour, de mon village Arthez de Béarn.
l’occupation, puis la libération des Basses-Pyrénées en août 1944
Fixée par l’armistice de juin 1940, la ligne de démarcation sépare le pays, et en particulier notre département, en “zone occupée” et “zone libre”. Les communes sur le tracé de cette ligne sont considérées en zone occupée : Sault de Navailles, Sallespisse, Orthez, Baigts de Béarn, Puyoô, Salies de Béarn, Sauveterre, St-Palais, St-Jean-Pied-de-Port jusqu’à Arnéguy. Une seule ligne de train traverse cette ligne de démarcation, la ligne Tarbes-Pau-Bayonne par laquelle transitent voyageurs et marchandises. Les autorités allemandes contrôlent la situation des voyageurs à Orthez. Le même contrôle en zone libre s'effectue en gare de Pau ; plus tard celui-ci sera déplacé en gare d’Argagnon (ndlr. j’ignorais qu’une gare avait existé dans ce village !), puis en gare d’Artix.
Le 11 novembre 1942, suite au débarquement allié en Afrique du Nord quelques jours plus tôt, les Allemands envahissent la zone libre et suppriment cette ligne de démarcation. Pendant quasiment deux ans, le département des Basses-Pyrénées (devenu Pyrénées-Atlantiques en 1969) sera donc occupé par les forces armées allemandes jusqu’en août 1944.
La libération s’y déroule dans la période comprise entre le 20 et le 26 août : Pau le 22, Orthez le 22, Bayonne le 23 et Oloron le 26. Pratiquement sans combat, si bien que les dispositions prévues par le plan d’insurrection méticuleusement élaboré par le CNR (Conseil National de la Résistance) ne peuvent être totalement engagées.
En effet, à Pau, dès le 19, l’armée allemande prépare son départ ; des convois militaires allemands composés de gros matériels, auto-mitrailleuses, canons tractés, transport de troupes circulent dans les rues, mais personne n’ose alors croire à leur départ définitif.
De même à Oloron et Orthez, aucun coup de feu ni incident pendant le départ des troupes allemandes.
À Bayonne, les Allemands détruisent certains ouvrages défensifs et sabordent une dizaine de navires dans l’embouchure de l’Adour, avant de partir le 23. C’est toutefois grâce à des négociations menées à bien entre les chefs de la Marine allemande et les services français des Ponts et Chaussées que les installations portuaires n’ont subi aucun dommage.
Le département recouvre donc sa liberté, et dans une explosion de joie et un enthousiasme sans pareils.
harcèlement, sabotages et combats à l’été 1944
De fait, quand bien même les troupes allemandes se retirent dans un calme relatif, la résistance demeure active dans notre département pendant toute la période d’occupation, et en particulier pendant les semaines suivant le débarquement des troupes alliées en Normandie.
D’ailleurs, que se passe-t-il sur notre territoire, ma commune Arthez de Béarn et ses environs, les semaines précédant la libération ? Passivité ? Résignation ? Insurrection ? Révolte ? …
Les tableaux suivants (ndlr. données issues de l'ouvrage de référence introduit ci-avant fondé sur les travaux du Comité d'histoire de la II° Guerre mondiale), apportent une réponse objective. Ils illustrent précisément l’intensité de l’activité de résistance dans notre petit coin de France. Ils permettent de mieux appréhender le niveau de tension qui y règne. Le premier tableau recense les actes de sabotage, le deuxième les affrontements entre les deux camps.
Une rébellion bien active donc sur l'ensemble de notre territoire. De façon tout à fait remarquable, Arnos, en pointe dans la série d'affrontements de ce début d'été 1944, a d'ailleurs commémoré chaque année, jusqu'au début des années 2000 et encore cette année du 80° anniversaire, les actes héroïques qui marquèrent ces journées sur la commune.
22 août 1944, "la bataille d'Arthez"
Concernant cet affrontement de fin d'occupation en Béarn, je laisse ici la plume à deux Arthéziens, deux grandes figures de l'histoire de notre village.
Notre regretté Raymond Lamugue raconte ce combat dans ses mémoires ("Une vie : la mienne..." intégralement accessible en cliquant sur mon article "Arthez, ton patrimoine humain, ne l'oublie pas !" publié sur ce blog) :
"... Ce qui m'amène au récit d'un autre combat qui se déroula alors que nous pensions déjà être libérés et avions même déjà commencé à le fêter !
Une colonne allemande qui espérait encore pouvoir rejoindre ses amis au combat à travers tout un pays en effervescence, traversait notre cité et se heurta à des soldats FFI ; ceux-ci engageant le combat sans doute prématurément, permirent à la colonne de se réfugier dans un bâtiment industriel. Hélas ! Trois hommes y travaillaient à ce même instant, et n'eurent guère le temps de réaliser ce qui se passait : l'officier ennemi qui pénétra le premier dans le bâtiment, en abattit froidement deux, et le troisième ne dût son salut qu'à sa présence d'esprit qui le fit se cacher et s'armer de patience pour demeurer dans une position très inconfortable durant les longues heures de combat. Les victimes avaient 69 et 29 ans.
Finalement, les assiégés finirent par être faits prisonniers ; deux des leurs avaient été tués et furent inhumés au cimetière local (leurs corps ont été exhumés dans les années 60 pour être ramenés dans leur pays). L'officier meurtrier fut jugé quelques temps plus tard.
Puis ce fut enfin la clôture de la "période noire", et durant quelques jours, on fit la fête avec bals publics, enfin ! (mes premières danses...). ...".
Dans son ouvrage "Batalis" dans lequel il rapporte des anecdotes qui ont marqué la première partie de sa vie dans son quartier sous forme de dialogue avec sa petite-fille, Jean Lignacq nous relate cette journée historique :
"... C'est aussi lors de cette soirée que la conversation roula, avec quelle émotion, vers ce que certains ont appelé "la bataille d'Arthez". Dans l'après-midi du 22 août 1944 un accrochage entre maquisards des FFI et une colonne allemande coûta la vie à un fermier d'Arthez - vétéran de la guerre 14/18 le pauvre, et qui fut tué par balles dans sa propre grange - et à son domestique, ainsi qu'à deux soldats allemands. On discuta longuement ce soir-là, sur le bien-fondé d'avoir attaqué la colonne allemande à la sortie du bourg plutôt que de la laisser tout-à-fait sortir du village. Manque de métier de la part des maquisards, précipitation d'un premier tireur par manque de discipline ?... Qui sait ?
... Mon père lui, travaillait avec son employé le matin de l'accrochage, à la ferme dont le patron fut tué. Or il se mit à pleuvoir vers midi et estimant ne pas pouvoir continuer le travail à cause du temps, ils ne repartirent pas sur le chantier l'après-midi. Un troisième Arthézien employé de la ferme, qui ne dut sans doute d'avoir la vie sauve qu'en restant tapi dans la grange jusqu'à la fin de la bataille, leur servait de manœuvre durant la matinée.
Inutile de te dire combien ton grand-père bénissait cette pluie qui lui évita peut-être le pire. ..."
Guerilleros
Fuyant la dictature franquiste qui règne sur l’Espagne à partir de 1939, grand nombre de républicains espagnols arrivent en France, au bout d’un long chemin d’exil qui n’honore pas vraiment la France, ni davantage l’accueil qui leur est réservé (lire mon article "guerre, exodes et métèques" publié sur ce blog). Néanmoins, les combattants espagnols s’engagent dans le combat armé aux côtés des forces françaises, en particulier au sein de la 2° DB du général Leclerc, tout comme dans différents maquis.
Dans notre département, des groupes de résistants espagnols s’organisent. Sous le commandement du capitaine “Paco”, ils prennent la dénomination de “Guérilleros espagnols” dont le regroupement constitue la “Brigade spéciale” qui deviendra la 10° Brigade. Rapidement repérés par les Allemands, ils livrent des combats, puis se dispersent par petits groupes dans la montagne pour éviter l’affrontement direct après avoir fait sauter quelques ponts.
Au cours des premiers mois de 1944, les attaques, escarmouches et combats des Guérilleros coûtent aux Allemands 11 morts, 19 blessés et 11 prisonniers, quand les pertes espagnoles sont de 4 morts et 1 blessé. À l’approche de la Libération, le groupe des Guérilleros espagnols, entre autres sabotages, fait sauter à l'explosif au pic de Léoular (1054 m) un pylône d’importance vitale, supportant une ligne électrique de 22.000 kW. À la Libération, ils contribuent au blocage des routes conduisant vers l’Espagne, livrent des combats sans pertes, et ont la satisfaction de capturer de nombreux soldats allemands.
Le 5 avril 1945, le Comité départemental de libération (CDL) rend ainsi hommage aux Guérilleros espagnols :
“Au moment où les Guérilleros sont dissous en tant que formation militaire, le CDL se rappelant, avec émotion et reconnaissance, l’aide apportée par les maquis espagnols pendant l’occupation allemande et à la libération du département des Basses-Pyrénées, adresse l’expression de sa reconnaissance et de sa sympathie aux Guérilleros, rend hommage à ses nombreux morts, tombés pour la France et la démocratie mondiale, et les assure tous, en la personne de leur chef “Paco”, de son appui le plus entier en attendant qu’ils puissent reprendre dans leur propre pays la place qui leur revient par leur courage et les sacrifices consentis”.
Un bel hommage aux soldats espagnols exilés républicains qu’il est juste d’avoir présents à l’esprit, au même titre que les autres soldats étrangers venus se battre en France pour la liberté. D’autant qu’il faut ici souligner que, dans toute la Résistance en France, on a compté deux fois plus d'Espagnols que tous les autres étrangers réunis.
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À l’heure des célébrations des 80 ans de la Libération, et même s’il me plairait bien sûr d’imaginer un passé brillant, je continue de me poser la question “quelle aurait été mon attitude en cette période d’Occupation ?”. Aurais-je eu suffisamment d’audace pour m’engager dans la lutte, aux côtés des résistants, dans les maquis ?
J’admire alors d’autant plus la force d'âme de tous ceux, anonymes, qui ont eu le courage de rompre avec leur quotidien banal et combattre le totalitarisme nazi et la collaboration. Bravo et merci à eux !
Jean-Michel Cabanes